Reprise de la raison sociale Erai Asie du Sud-Est, embauche de l’ensemble des 17 salariés actuels -dont 10 Français et 7 Vietnamiens-, reprise des contrats hébergement/domiciliation en cours sans demande de caution aux sociétés clientes, injection de 250 000 euros pour relancer la machine… L’offre du tandem Jacques Rostaing/Aymeric Pons pour la reprise des activités d’Erai au Vietnam, qui n’avait du reste pas de concurrent, repose sur un projet et des bases suffisamment solides pour avoir été acceptée sans mal par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Lyon le 9 juin*. Croisé à Paris le 16 juin, Jacques Rostaing a accepté d’en détailler les contours pour la Lettre confidentielle sans cacher son indignation sur la manière dont le dossier Erai a été traité par les élus rhônalpins.
Fermer Erai « dans les conditions où ils le font, c’est lamentable ! »
Pour avoir créé quelque quatre usines au Vietnam (sacs à dos, tannerie, ganterie, maroquinerie), désormais autonome du groupe éponyme basé en Rhône-Alpes et que dirige son frère Stéphane (il a rebaptisé l’ensemble JR France Group récemment), et plus récemment une petite société d’appui aux entreprises françaises en Mongolie, pour avoir aussi été un animateur majeur de la communauté d’affaires française au Vietnam en tant que vice-président et président de la Chambre de commerce et d’industrie française locale (CCI France Vietnam) entre 1998 et 2008, Jacques Rostaing, grand connaisseur de l’Asie, Conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF), n’a plus grand chose à prouver. Alors, pourquoi s’être lancé dans cette aventure ?
Il connaît bien l’équipe locale d’Erai qu’anime Aymeric Pons, certes, mais il a aussi conservé la fibre rhônalpine, rappelant non sans fierté qu’il avait initié, lorsqu’il était aux responsabilités à la CCI France Vietnam, sans doute l’un des plus beaux projets de coopération que la Région Rhône-Alpes compte dans le pays : une école de formation en textile-habillement-cuir, aujourd’hui gérée par le Vietnam, qui forme 2 000 jeunes chaque année. Son indignation face à la manière dont Erai est aujourd’hui liquidé est sincère : « Que Erai ferme, cela pourrait paraître normal, car cela fait des années que l’on parlait de réduire les dépenses publiques. Mais dans les conditions où ils le font, c’est lamentable ! » s’exclame-t-il.
Et d’évoquer l’image déplorable, pour la région Rhône-Alpes et plus généralement la France, que provoque, au Vietnam, le fait que les salariés français et vietnamiens ne soient plus payés depuis des mois. « En outre, Erai association a utilisé quelque 170 000 euros de fonds versés par les entreprises clientes dans le cadre de cautions pour leur contrat d’hébergement alors qu’ils auraient dû être bloqués ».
C’est un des montages dont Erai association, la maison-mère basée à Lyon, avait le secret : au Vietnam, la structure locale était une sorte de bureau de représentation sans existence juridique, et c’est la maison-mère, Erai Association, qui facturait les clients et payait directement les salaires. Elle avait en projet de créer une filiale, Erai Asie du Sud-Est, dont elle avait déposé les statuts, mais n’avait pas eu le temps de finaliser le projet. Les arriérés de salaires s’accumulaient ces derniers mois, les fonds des cautions ont disparu, et Aymeric Pons encourait des poursuites… « On est passé brutalement d’une situation où on joue les seigneurs à une situation où on joue les voyous. Le Consul au Vietnam est très inquiet. J’ai même écrit au président de la Région (Ndlr : Jean-Jack Queyranne) en lui demandant que l’on paye au moins les jeunes, et les Vietnamiens ».
Et de prévenir : si jamais, le 29 juin, lors de la prochaine commission permanente du Conseil régional de Rhône-Alpes, une majorité d’élus refuse de voter l’enveloppe prévue par l’exécutif régional pour régler les arriérés de paiements à l’étranger, en tant que repreneur, il portera l’affaire des cautions disparues devant le tribunal*.
« Après une prospection, on a besoin de vrais commerciaux, d’agents ou de VRP multicartes »
Mais outre le désir de sauver ce qui pouvait l’être, le projet de reprise qu’il a monté avec Aymeric Pons correspond aussi à une vraie conviction : l’Asean est d’ores et déjà « un grand marché qui s’est constitué », offrant d’immenses opportunités, mais où la concurrence fait rage et où les entreprises françaises, notamment les PME et ETI, ont pris du retard. Erai Asie du Sud-Est va d’ailleurs rapidement se rapprocher de la société basée en Mongolie, qui dispose de quelques clients, via des prises de participation croisées. L’entrepreneur rhônalpin en sera le président, Aymeric Pons le directeur général.
Car pour Jacques Rostaing, il y a de quoi faire pour une structure offrant des services d’appui aux entreprises vraiment efficaces au plan commercial. Il sait parfaitement de quoi il parle, lui qui a pour premier débouché, pour ses usines vietnamiennes, le marché… japonais : « ce que faisait Erai au Vietnam, avec cette possibilité de domicilier les entreprises dans ses bureaux et d’encadrer leurs salariés, c’est bien. Il y a une vraie dynamique, ils ne sont pas tout seuls », explique-t-il. « En dehors de ce service, il y a des formules moins coûteuses de salariés à temps partagé, et les sociétés clientes choisissent la personne qui va suivre leurs affaires : ça aussi, c’est efficace ».
Ces deux offres seront poursuivies et développées par la nouvelle structure. Mais Jacques Rostaing veut aller plus loin : « Après une prospection, on a besoin de vrais commerciaux, d’agents ou de VRP multi-cartes, comme dans les années 70, de vrais supports dans le pays qui vont suivre sur place, et beaucoup moins coûteux, payés en proportion des résultats obtenus », expose-t-il. Ce service de représentation, il l’a déjà proposé à une grande société française, dont il préfère taire le nom pour le moment, qui a tout de suite accepté : « Nous avons décroché notre premier client avec cette nouvelle offre », se réjouit-il. Celle-ci sera développée, progressivement : « Mais on ne prendra ces missions d’agent commercial qu’après examen des dossiers ».
« Nous souhaitons travailler en réseau »
Pas question pour autant de jouer les cavaliers seuls : « Nous souhaitons travailler avec tout le monde et en réseau, y compris avec les autres consultants qui peuvent avoir des spécialités plus pointues dans certains domaines », souligne Jacques Rostaing, qui fustige au passage « l’inaptitude des Français à travailler en réseau », contrairement aux Italiens « qui sont capables d’appeler jusqu’à leur concurrent si ceux-ci peuvent les aider à faire face à un problème, quitte à leur renvoyer l’ascenseur à une autre occasion ».
Avec son carnet d’adresses bien rempli dans le tissu économique de la région Rhône-Alpes et bien au-delà, Jacques Rostaing a, dit-il encore, « envie de montrer qu’on peut réussir à l’international avec une autre méthode ». D’après lui, Erai Asie du Sud-Est, qui a d’ores et déjà une trentaine d’entreprises clientes, est assise sur de bonnes bases financières : « s’il n’y avait pas eu la facturation d’Erai Association, on aurait été rentable dès 2014. Dans la nouvelle configuration, nous espérons être rentable dès l’an prochain ».
Christine Gilguy
*Erai / Rhône-Alpes : à peine un quart des implantations à l’étranger seront reprises
Pour prolonger :
Lire dans la LC aujourd’hui : Erai/Allemagne : Le Dom/VillaFrance garde le nom, le personnel et les bureaux d’Erai GmbH