Les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie, accusée de soutenir les séparatistes dans l’est ukrainien, sont-elles efficaces ? Les étudiants, cadres d’entreprise, scientifiques ou diplomates étrangers présents lundi 24 août, dans le cadre de la Semaine des ambassadeurs (24-27 août) organisée par le Quai d’Orsay, auront sans doute été surpris d’entendre deux diplomates français répondre différemment à la même question, certes en prenant des perspectives différentes.
Ainsi, Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France à Moscou, a clairement répondu par l’affirmative, confirmant ainsi la position défendue par l’ensemble de l’Union européenne. « Les sanctions occidentales sont efficaces » selon lui, d’abord parce qu’elles « ont pris de court la Russie », ensuite, parce que « leur renforcement a été très dur pour ce pays, notamment en le privant de transfert de technologie, en particulier dans l’énergie ». S’y sont ajoutées les sanctions financières, « privant les Russes d’accès aux financements internationaux ».
Ces décisions ont eu d’autant plus d’impact qu’elles sont intervenues alors que l’économie russe traverse une mauvaise passe en raison de l’absence de réformes structurelles, de la baisse de la consommation intérieure et de la chute des prix du pétrole (actuellement à 46 dollars, alors le budget russe est fondé sur un cours à 80 dollars). La Russie, qui tire 70 % de ses recettes des exportations d’hydrocarbures, est à la peine.
Mais de son côté, Eric Fournier, ambassadeur en Hongrie, qui connaît bien la zone pour avoir précédemment occupé ce poste en Russie et Géorgie après avoir été directeur de l’Europe continentale au ministère des Affaires étrangères et du développement international (Maedi), ne partage pas le même optimisme que son collègue à Moscou. « Si les sanctions marchaient bien, il n’y aurait plus de combat dans le Donbass (bassin houiller de Donetz) », a-t-il, pour sa part, répondu à la même question que Jean-Maurice Ripert. Or, constatait-il, « il y a un sorte de furie entre des gens qui ont des convictions qui sont fortes » dans cette partie de l’Ukraine.
Parvenir à se mettre autour d’une table
« Il y a 100 violations de cessez-le-feu par jour » sur « les 5 % des territoires occupés par les indépendantistes », a, quant à elle, indiqué Isabelle Dumont, 35 ans, ambassadrice de France en Ukraine, assurant, néanmoins, que les accords de Minsk (Biélorussie), signés par Kiev et les séparatistes en février dernier, sont « un outil fantastique », car « tout y est prévu » (cessez-le-feu, retrait des armes, décentralisation, réforme constitutionnelle… au total 13 points). Mais la véritable « question », pour elle, est celle de « son application et donc de la confiance » entre les belligérants, y compris le régime de Vladimir Poutine.
Jean-Maurice Ripert estime à cet égard que si pour les Russes « c’est le rapport de force qui compte », il faut « faire confiance à la Russie », car « il n’y aura pas de paix, de relation de confiance, si on ne se met pas autour d’une table ». La Russie « est une partie de la solution » et l’ambassadeur français à Moscou s’est déclaré « persuadé » qu’elle « ne veut pas l’annexion du Donbass ». Pour le diplomate, il faut comprendre que l’ex-Union soviétique a du mal à s’intégrer dans la mondialisation. « En 1991, a-t-il expliqué, l’ouverture de l’économie au monde ne s’est pas faite selon le modèle européen ». En outre, « la Russie n’est pas à l’aise avec la mondialisation politique », ce qui fait au total qu’elle « n’a pas de stratégie d’ouverture ».
L’Europe et la France, partenaires incontournables
C’est pourquoi, même dans un contexte politique aussi difficile, l’Europe demeure aussi un partenaire essentiel pour la Russie. « C’est 50 % de son commerce, 75 % de ses investissements directs étrangers, alors que la Chine a réduit de 15 % ses IDE l’an dernier », a observé Jean-Maurice Ripert.
En l’occurrence, malgré l’affaire des Mistral – que le diplomate a pris soin de ne pas aborder lors de ce débat public -, les ponts entre Paris et Moscou sont loin d’être coupés, les deux pays semblant tenir à préserver leur relation. Dans son discours aux ambassadeurs à l’Élysée, le matin même, le président François Hollande avait indiqué que malgré le contexte, « la France veut maintenir avec la Russie un dialogue sincère, conforme à l’Histoire, conforme à la nature de notre relation, aux intérêts communs que nous avons dans le monde ». Quant à la question du remboursement aux Russes des fonds versés pour les deux navires Mistral, dont le chef de l’État avait décidé de suspendre la livraison en septembre 2014, «l’affaire a été traitée avec un grand sens des responsabilités de part et d’autre, dans le respect mutuel, a précisé François Hollande. Je m’en suis entretenu à plusieurs reprises avec le Président Poutine. Nous avons pu négocier des conditions favorables, en ce qui nous concerne, en évitant des pénalités et en nous laissant le libre choix des nouveaux acquéreurs, qui sont d’ailleurs un certain nombre à s’être manifestés ».
Autre signe du bon fonctionnement de la relation bilatérale Paris/Moscou, les propos récemment échangés entre François Hollande et Vladimir Poutine, Laurent Fabius et le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov au sujet de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (Cop 21) devant se tenir au Bourget du 31 novembre au 11 décembre prochain. «Les Russes ne se sont pas montrés très vocal comme on dit en anglais, mais ils sont prêts à jouer le jeu », a notamment indiqué le ministre français des Affaires étrangères et du développement international en clôture de cette première journée de la semaine des ambassadeurs. La France, pour sa part, a été le premier État européen en Russie à conclure un accord de reconnaissance générale des diplômes (sauf en médecine). Elle va aussi y inaugurer dans quinze jours sa 13e Alliance française.
François Pargny
Pour prolonger :
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