« L’évolution du périmètre fait que je me sens un peu chez moi ici ». Ramon Fernandez, le directeur du Trésor, jouait
manifestement la carte de la pacification aux dernières Rencontres Quai d’Orsay-Entreprise, le 8 avril. Il plaisantait devant un parterre de diplomates, chefs d’entreprises et représentants des réseaux d’affaires venus assister en nombre -900 inscrits selon le Quai d’Orsay- à la deuxième édition de cette événement fondateur de la nouvelle diplomatie économique portée par Laurent Fabius, que le ministre a tenu à clôturer.
Car ces Rencontres étaient the place to be pour ceux qui voulaient mieux comprendre les intentions du nouveau ministre des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI), tout juste doté de sa nouvelle compétence sur le Commerce extérieur, obtenue de haute lutte face au duo des ministres des Finances, Michel Sapin, et de l’Economie et du redressement productif, Arnaud Montebourg. Ils sont restés un peu sur leur faim en l’absence de la nouvelle secrétaire d’État au Commerce extérieur, Fleur Pellerin, dont la nomination est intervenue le lendemain, et des décrets d’attribution de chaque ministère, toujours l’objet d’âpres négociations dans les hautes sphères de l’État à l’heure où nous bouclons la Lettre confidentielle.
« On réussira si on a une économie compétitive et si on joue collectif »
Côté ambiance, l’heure était aux efforts d’apaisement après l’électrochoc provoqué à Bercy, et qui continue à provoquer des remous (Lire par ailleurs dans la LC cette semaine*). Le directeur du Trésor intervenait en l’occurrence dans la table ronde d’ouverture animée par Jacques Maire, le directeur des Entreprises et de l’économie internationale (DEEI) au Quai d’Orsay, censée donner une vision concrète de ce que fait aujourd’hui la diplomatie économique. Bertrand Besancenot, ambassadeur de France en Arabie Saoudite, Philippe Faure, ambassadeur de France et représentant spécial du ministre pour le Mexique, Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI Paris Île de France et Marie-Ange Debon, directrice générale adjointe de Suez Environnement s’y sont succédés.
Ramon Fernandez a fait bonne figure. Reprenant à son compte les priorités gouvernementales axées sur la nécessité de redresser la compétitivité du pays, il a reconnu que « l’esprit d’équipe n’est pas toujours la qualité première de nous tous » tout en rappelant les progrès déjà réalisés : « les équipes se voient », « les Services économiques travaillent avec les ambassadeurs », mais « il faut qu’on approfondisse » ; quant aux outils de soutien financiers « on a essayé de mettre à niveau la boite à outils » et « je crois qu’on a aujourd’hui les mêmes conditions que nos principaux concurrents ». Et de conclure en lançant « on réussira si on a une économie compétitive et si on joue collectif ».
Jacques Maire, pour sa part, avait ouvert en dressant un bilan chiffré de la nouvelle orientation impulsée par le ministère un an après sa mise en œuvre, prenant soin d’y associer les services de Bercy et Ubifrance. « Les ambassades ont toutes un plan d’action interministériel élaboré avec le Trésor », et 125 sur 160 « sont totalement impliquées dans le processus des plans d’action et de reporting ». Selon le bilan, « 35 % du temps des ambassadeurs a concerné l’économie », ce qui s’est traduit par « 2400 interventions pour des problèmes d’accès au marché » et « 600 contacts avec des investisseurs internationaux ».
« N’est-on pas en train d’affaiblir tout autant de Quai d’Orsay que le Commerce extérieur ? »
Les témoignages d’entreprises entendus toute l’après-midi ont plutôt été positifs pour le nouveau système, présenté comme unifié et cohérent, gage d’une efficacité accrue par le MAEDI. « Il nous faut les deux, à la fois une économie compétitive et une diplomatie économique » a notamment lancé Marie-Anne Debon. Ou encore :« Il est important d’avoir une projection unique à l’étranger et, en France, une œuvre collective », a estimé Bruno Cotté, directeur général adjoint international de Safran. « Les PME ont besoin de se sentir comprises, aidées, soutenues, d’avoir quelqu’un à qui s’adosser en cas de problème, a pour sa part avancé Gilles Dabezies, directeur général adjoint chargé de l’International à la CCI Paris Idf. Après, sur l’architecture, quel que soit le mécano administratif, les différents intervenants publics sont condamnés à s’entendre ».
Seule voix dissonante, celle de Frédéric Sanchez, le patron du groupe Fives, ex. président de la Commission internationale du Medef, qui s’est avoué « dubitatif » sur le rattachement du Commerce extérieur au Quai d’Orsay. «La diplomatie et l’économie, c’est presque un oxymore, a-t-il lancé. La France est amenée à prendre des positions politiques fortes qui peuvent être en contradiction avec la diplomatie économique ». Et de citer l’exemple de la Russie, où, suite aux sanctions européennes après les événements de Crimée, Fives a vu une importante commande bloquée par le Service des biens à double usage (SBDU) et son client russe lui signifier qu’il allait se tourner vers un concurrent allemand. « N’est-on pas en train d’affaiblir tout autant le Quai d’Orsay que le Commerce extérieur alors qu’auparavant, il y avait une sorte de contre-pouvoir qui permettait d’obtenir des arbitrages ».
Sur un autre registre, Joël Glusman, président du groupe logistique Crystal, a pris le micro pour rappeler que la bataille du commerce extérieur se jouait aussi en France, où « une révolution culturelle » doit être menée, selon lui. Les exportateurs français « ne vendent pas leurs produits, onvient le leur acheter » car ils renâclent à prendre en charge la livraison, a-t-il expliqué : « Je fais 60 % de mon chiffre d’affaires à l’export mais mes clients sont principalement des importateurs étrangers, brésiliens ou turcs, qui viennent chercher des produits français alors que les exportateurs allemands prennent en charge à 100 % la livraison ».
Laurent Fabius : « le Quai d’Orsay s’est adjoint le commerce extérieur et le tourisme : ça va renforcer notre assise».
Laurent Fabius n’a pas fait de discours de clôture mais il a passé quelques messages. Rappelant que ce sont « les entreprises qui créent de la richesse » mais que « l’administration doit les y aider », il a estimé que « le Quai d’Orsay s’est adjoint le commerce extérieur et le tourisme : ça va renforcer notre assise ». Quant aux missions de la diplomatie économique, elles sont doubles : « Ca va dans les deux sens : il faut que les PME soient davantage présentes à l’étranger » et « que davantage d’investisseurs étrangers viennent en France » a-t-il résumé. Quant aux nouvelles responsabilités des ambassadeurs : « C’est pas ou bien l’économie ou bien la culture, c’est tout ça à la fois ».
Le nouveaux dispositif mis en place par le Quai d’Orsay repose sur la systématisation des plans d’actions économiques confiés aux ambassadeurs, placés à la tête d’un conseil économique qu’ils pilotent, des représentants spéciaux du ministre dans les pays sensibles ou à gros enjeux (neuf actuellement), et, en France, la DEEI et six ambassadeurs mis à la disposition des Régions françaises qui le souhaitent. Il reste à présent à construire son articulation avec le nouveau secrétariat au Commerce extérieur et… les services jusque là logés à Bercy. « Il n’y a qu’une seule route, c’est la coopération », nous confiait Jacques Maire en fin de journée, parfaitement conscient du défi qui se présente. « La priorité, c’est de faire un système efficace avec une unité de commandement unique »
Christine Gilguy
*Lire : Commerce extérieur : le blues des agents du trésor jette une ombre sur le nouveau dispositif