« Ici, c’est perçu comme une OPA hostile, on est abasourdi ». Les mots sont d’un haut fonctionnaire du Trésor, pourtant habitué à plus de réserve. Lui et de très nombreux collègues ont le blues depuis l’électrochoc provoqué à Bercy par le rattachement inattendu du Commerce extérieur au ministère des Affaires étrangères lors du dernier remaniement ministériel. A la Direction Générale du Trésor (DG Trésor) et parmi les 700 agents que compte son réseau international, dans les Services économiques (SE) et les Services économiques régionaux (SER), on ne parle que de ça.
« A aucun moment, le quai d’Orsay n’a avancé à découvert. Jamais il n’y a eu concertation », dit encore l’interlocuteur de la Lettre confidentielle (LC). Les représentants des personnels -en tête desquels le Syndicat majoritaire des personnels du réseau international (SPRIM), rattaché à FO-, sont allés plaider leur ancrage à Bercy jusqu’à l’Elysée, le 7 avril, mais aussi à l’Assemblée nationale. Ils ont reçu l’appui de nombreux cadres de l’administration centrale tout autant que des nouveaux ministres Michel Sapin (Finances) et Arnaud Montebourg (Économie et redressement productif), et leurs cabinets, qui défendent « la cohérence de l’action économique qui va au-delà du seul commerce extérieur ».
Le climat de suspicion a été exacerbé par la guerre de communication qui a suivi entre le Quai d’Orsay et Bercy, qui ont chacun revendiqué le Commerce extérieur jusqu’à ce que l’Élysée et Matignon tranchent en faveur de Laurent Fabius, le 4 avril. Ce qui a permis à ce dernier de confirmer et justifier ce rattachement via plusieurs interviews dans la presse, entre le 4 et le 8 avril. Le 8 avril, jour de la deuxième édition des Rencontres Quai-d’Orsay entreprises, les objectifs de ce rattachement ont pu être longuement exposés : « unification, simplification », pour plus « d’efficacité » du dispositif sont les mots clés (Lire par ailleurs dans la LC cette semaine*).
L’enjeu des décrets d’attribution
Dès le 8 avril, Laurent Fabius a adressé aux ambassadeurs un courrier, que la LC a pu consulter, dans lequel il leur annonce leur nouvelle compétence sur le commerce extérieur. Il indique que « cette unification, évoquée depuis longtemps, met fin à une situation souvent critiquée, source de lourdeurs, voire d’incohérences ». « Face à l’enjeu décisif du redressement de notre commerce extérieur et du renforcement de notre attractivité, nous avions besoin d’une organisation simplifiée », écrit encore le ministre.
Combat d’arrière garde de la part des agents de la DG Trésor ? Pas si simple.
Certains chefs d’entreprises ont exprimés leur inquiétude face au risque de voir concentré au ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) l’ensemble des outils de la diplomatie économique, au risque « d’affaiblir tout autant le Quai d’Orsay que le Commerce extérieur » pour reprendre les mots d’Alain Sanchez, le patron du groupe Fives, aux rencontres Quai d’Orsay-Entreprises : car comment conserver une ligne claire lorsque des intérêts diplomatiques forts et légitimes heurteront des intérêts économiques tout aussi légitimes comme se fut le cas sur l’Iran et plus récemment la Russie*.
Bercy semble avoir pris acte du rattachement du Commerce extérieur au MAEDI, comme en témoigne l’intervention de Ramon Fernandez, patron de la DG Trésor, aux Rencontres Quai d’Orsay-Entreprises le 8 avril*. Mais il reste à écrire la nouvelle partition. Et notamment les décrets d’attribution qui doivent fixer la tutelle sur les services et préciser qui fait quoi dans la nouvelle organisation. L’enjeu : tout ou partie de la DG Trésor et de son réseau international vont-ils ou non passer sous la tutelle -voire la co-tutelle- du Quai d’Orsay ? Vont-ils être démantelés ?
Les décrets d’application tardent à être rendus publics -à l’heure où nous bouclons la LC, ils ne sont toujours pas signés- ce qui est mauvais signe. Le ministère de l’Économie et celui des Finances n’ont pas encore dit leur dernier mot. « Ces tractations interminables montrent à quel point les choses sont complexes », s’exaspère encore l’interlocuteur de la LC.
« Nous travaillions jusqu’à présent pour quelques 11 ministères différents, ce qui n’a jamais été dit par Laurent Fabius, souligne un autre agent de la DG Trésor, proche des milieux syndicaux. Dans les pays étrangers, les conseillers économiques étaient déjà placés sous l’autorité des ambassadeurs depuis le décret du 1er juin 1979 qui faisait de ceux-ci les responsables des services de l’État à l’étranger. Nous travaillions déjà sous leur autorité et le plus souvent en très bonne entente. Maintenant, on veut démanteler la DG Trésor alors que celle-ci a montré sa capacité à se réformer et à faire un travail efficace, au service de l’ensemble des ministères et des entreprises : les personnels, qui sont reconnus pour leur expertise, sont très inquiets ».
Dans un tel climat, on se demande comment la nouvelle secrétaire d’État au Commerce extérieur, Fleur Pellerin, nommée le 9 avril, qui était à Bercy dans ses précédentes fonctions, va bien pouvoir travailler. Et si Laurent Fabius n’aurait pas dû choisir, pour faire avancer ses idées, une méthode plus… diplomatique.
Christine Gilguy
* Lire : Diplomatie économique : après la bataille du commerce extérieur, la pacification ?