La décision de Michel Sapin et Emmanuel Macron de transférer à Bpifrance les aides à l’export jusqu’à présent gérées par Coface a été soutenue, poussée et applaudie par les milieux d’affaires français. En premier lieu parce qu’ils en attendent une simplification drastique du dispositif, mais aussi, espèrent-ils, une gestion plus dynamique de ces aides, plus « orientée clients », bref plus « pro business ».
En témoignent les réactions recueillies par la Lettre confidentielle auprès de Frédéric Sanchez, président de la Commission Internationalisation et filières du Medef, à Paris le 9 septembre entre deux déplacements à l’étranger, et Alain Bentéjac, président du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF), croisé fin août lors de la Semaine des ambassadeurs.
La simplification que ce transfert va apporter fait l’unanimité. « Cela va dans le sens de ce pourquoi nous plaidons depuis des années : la constitution, progressivement, d’un guichet unique, d’une Maison unique dans laquelle les entreprises pourront trouver à la fois des financements et garanties classiques et des financements et garanties pour l’export», confie Frédéric Sanchez. Patron du groupe industriel Fives, fabricant de machines, il est en l’occurrence un « client » régulier du guichet public de Coface pour ses projets dans les pays émergents. « C’est utile et cela paraît être au Medef un gage d’efficacité, notamment pour les PME ».
Même son de cloche chez les CCEF : « J’y suis favorable depuis longtemps et la principale raison est que cette réforme va dans le sens de la simplification du dispositif », déclare Alain Bentéjac, qui est aussi actif au Medef en tant que président du comité Commerce extérieur, et à la tête d’un groupe d’ingénierie qui s’internationalise, Artelia. « Avec d’un côté les financements et de l’autre les garanties et l’assurance-crédit export, ça restait compliqué, notamment pour les PME », ajoute-t-il, allusion à une mini-réforme introduite en 2013*.
Le réseau régional de Bpifrance est aussi vu comme un atout pour démocratiser ces aides : « Le fait que Bpi soit davantage implanté en région que ne l’est Coface nous paraît aussi aller dans le bon sens, notamment pour l’accès des PME à ces aides », souligne ainsi Frédéric Sanchez. Rappelons que, au titre des garanties publiques, Coface gère notamment l’assurance-prospection, mais aussi l’assurance-crédit export moyen terme (pour des durées supérieures à 1 an, exclusivement dans les pays en développement et émergents), un système de garantie de change et un autre de garantie de préfinancement**.
Les conditions du succès selon les exportateurs
Reste que les représentants des entreprises exportatrices, qui sont attachés aux dispositifs de soutien public à l’export, ont veillé à faire connaître à Bercy leur point de vue sur les conditions de sa réussite. En l’occurrence, les deux ministres des Finances et de l’Economie avaient annoncé le 23 février 2015 que le transfert des garanties publiques de Coface à la banque publique était mis à l’étude, avant de prendre leur décision définitive fin juillet suivant***. Dès cette époque, la Commission internationalisation et filière du Medef a transmis aux ministères de Bercy une note faisant part de sa position favorable mais listant les conditions à réunir, selon elle, pour que ce transfert soit un succès.
Première exigence : que l’opération concerne la totalité des aides d’État gérées par Coface et des équipes de sa direction des garanties publiques (DGP) pour éviter tout risque de dysfonctionnement ou de rupture du service, manifestement une forte préoccupation des entreprises.
Sur ce point, la note du Medef insiste pour que ce transfert « ne soit envisagé et décidé que si et seulement si il porte sur l’intégralité de l’activité ‘garanties publiques’ –outils financiers, ressources humaines et systèmes d’information/méthodologie », qu’il « est rapide et en une seule fois », que la « bascule est très courte et dotée d’un système de backup des prestations afin d’éviter toute discontinuité d’activité » et qu’enfin « toutes les précautions ont été prises préalablement au transfert afin d’éviter quelques recours que ce soit concernant la forme et les modalités du transfert qui viendrait altérer la continuité de service».
Parmi les autres conditions émises dans cette note, le souhait «du maintien du champ d’intervention des garanties de changes en matière de devises » et la nécessité de « créer une entité juridique ‘garanties publiques’ fonctionnant comme l’actuel ‘compte d’État’ (et donc bénéficiant du même traitement prudentiel souverain) et distincte des autres activités Investissements et Financements (investissements, financements et assurance sont trois métiers différents) ».
Autrement dit, les exportateurs –et leurs banquiers- veulent conserver l’intégralité de la gamme de produits et leurs spécificités. Gageons que l’accord conclu entre les ministères de Bercy et Coface cet été, en annonçant un transfert en bloc et en promettant une période transitoire durant laquelle Coface sera en support***, les aura rassurés.
Des inquiétudes à dissiper chez les grands groupes
Pourquoi autant de réserves ? « La première et la plus évidente est que cette opération se fasse de la manière la plus transparente possible. En termes opérationnels d’abord, nous demandions notamment que les équipes de Coface moyen terme soient intégralement transférées chez Bpi parce que ce sont elles qui ont les compétences dont Bpi, qui va découvrir un nouveau métier, a besoin, explique Frédéric Sanchez. Mais également en termes de capacités à servir l’ensemble des exportateurs, de la TPE et des PME aux grands groupes. Ces derniers ont pu avoir la crainte, à un certain moment, que Bpi soit moins bien armée pour agir sur les opérations en dollars et dans d’autres devises ».
De fait, alors que les garanties que gère Coface pour le compte de l’État viennent très souvent en soutien des grands contrats export décrochés par les groupes du CAC 40 dans les pays émergents, la banque publique, elle, s’adresse exclusivement aux PME et ETI (moins de 1,5 milliard d’euros de CA et moins de 5 000 salariés). En outre, jusqu’à présent focalisée sur le financement des entreprises sur le territoire français, elle vient tout juste de se lancer –et avec prudence- dans le financement export proprement dit, en s’appuyant fortement sur l’expertise de la DGP de Coface et en faisant appel au savoir-faire de BNP Paribas ****.
Dans ce contexte, « il fallait aussi que ce transfert soit rapide et en une seule fois, et qu’il n’entraîne pas d’altération du service», argumente Frédric Sanchez.
L’espoir d’un dispositif plus « orienté client », plus « pro business »
Avec toutes ces réserves, et au-delà d’une simplification qui pourrait être finalement de pure forme, qu’attendent exactement les milieux exportateurs français de cette réforme ?
Indéniablement, un regain de dynamisme et de souplesse. « Bpi donne l’image d’une institution dynamique orientée client et j’espère que cette orientation sera donnée aux garanties d’État », déclare ainsi Alain Bentéjac. « Je n’ai jamais été convaincu des synergies qui pouvaient exister entre les activités privées et pour le compte État de Coface. Nous recherchons clairement une plus grande flexibilité d’un dispositif jusqu’à présent très régalien, et une plus grande orientation client ».
« Il ne faut pas reprocher à Coface Moyen terme d’avoir manqué de dynamisme : elle remplissait une mission pour le compte de l’État et était rémunérée pour celle-ci, tempère toutefois Frédéric Sanchez. Ce faisant, elle était tenue de respecter à la lettre les règles et les instructions fixées par son organisme de tutelle, Bercy, et notamment au sein de Bercy par le Budget».
Mais, poursuit néanmoins ce capitaine d’industrie, rejoignant le président des CCEF, « notre espoir, avec ce transfert, est que Bpi, qui n’aura pas cette position de prestataire, en tant que banque publique, puisse, lorsque nécessaire, jouer un rôle de contre-pouvoir constructif vis-à-vis de Bercy, et notamment du Budget, qui a de temps à autre une approche un peu ‘castratrice’, car cherchant à limiter à tout prix la prise de risques. Or, dans le monde volatile et incertain dans lequel nous vivons, ce n’est plus seulement sur le prix que la différence se fait entre assureurs-crédits publics, mais c’est sur l’attitude pro business de chacun vis-à-vis d’un projet donné, dans un pays donné».
Plus de réactivité et d’appétence pour la prise de risques
Plus de réactivité et d’appétence pour la prise de risque sont donc clairement attendus de la banque publique. « En tant qu’exportateur, parfois, sur un projet donné, nous constatons qu’il vaut mieux aller se faire financer ailleurs qu’en France, parce que nous savons que la contrepartie y sera jugée moins risquée qu’en France où nous pouvons nous heurter à de fortes réticences, pour ne pas dire plus, déplore le président de la Commission internationalisation et filières du Medef. Les exigences de Bercy en termes de contenu français sont également souvent plus strictes que ce qu’imposent les autres Agences de Crédit Export ».
Alain Bentejac, plaide à cet égard pour que « les règles de délégation soient étendues afin que le système devienne le plus réactif possible ». Les règles de délégation régissent actuellement les conditions dans lesquelles Coface peut instruire une demande de garantie publique sans passer en Commission des garanties, une instance où sont représentés les représentants des tutelles, dont les ministères de Bercy. « Dans des appels d’offres internationaux, lorsqu’il s’avère que le volet financement de l’offre française est moins compétitif que celle de la concurrence, l’administration exige que l’entreprise française en fournisse la preuve avant d’envisager de s’aligner » déplore le président des CCEF. Car cela alourdit le processus.
Le contexte pour un positionnement plus offensif du dispositif d’aide public à l’export est d’autant plus favorable, aux yeux des entreprises, que globalement, le « compte Etat » de Coface dégage depuis des années de confortables excédents : en 2013, par exemple, au titre de l’assurance-crédit export publique, Coface a versé 92 millions d’euros d’indemnisation pour près de 527 millions de récupérations…
Une situation qui interpelle les industriels : « Le fait que les comptes de Coface Moyen Terme dégagent des profits depuis des années est une bonne chose, car du coup, le dispositif d’assurance-crédit export public ne coûte rien au contribuable français, estime notamment Frédéric Sanchez. Mais point trop n’en faut, car la vocation d’un tel dispositif n’est pas d’être structurellement bénéficiaire mais simplement à l’équilibre. Si nous faisons du rétablissement du commerce extérieur une vraie priorité, et que nous considérons qu’il faut s’attaquer par tous les moyens à notre disposition à son déficit, alors ce n’est plus le moment d’être timoré, de prendre moins de risques que les autres, notamment nos concurrents européens –Hermes en Allemagne, Sace en Italie…- en particulier pour favoriser des exportations dans les pays que l’ensemble des acteurs de l’équipe de France de l’export considère comme prioritaires. »
Leur dernier espoir : que le processus de constitution de cette nouvelle machine de guerre économique soit rondement mené. « Maintenant que la décision est prise, il faut que ça se fasse vite, et en bon ordre ; le plus vite sera le mieux », conclut le président de la commission Internationalisation et filières du Medef. Alain Bentéjac est sur la même longueur d’onde : « Mon espoir à présent, c’est que la période de transition qui s’ouvre ne se fasse pas au détriment des entreprises ; mais je ne vois pas ce qui pourrait coincer dans la mesure où ce transfert se fera en bloc ».
Christine Gilguy
*Bpifrance export s’attaque au millefeuille des aides
***Financements export : accord entre l’État et Coface pour le transfert des garanties publiques à Bpifrance dès 2016
***Financements export : Bpifrance s’incruste dans le paysage du crédit export
Pour prolonger :
–Lire dans la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : Exclusif/Financements export : les entreprises s’inquiètent d’un gel par Bercy du système de stabilisation des taux d’intérêt
–Sur les dispositifs publics français de soutien à l’exportation, nous recommandons notre Guide des aides à l’export, actualisé chaque année. Cliquez sur : Guide des aides à l’export pour les PME & ETI – édition 2015 (Moci)