L’annonce surprise par Bercy, dans un communiqué de presse en date du 23 février, du lancement d’ une réflexion sur le transfert de la gestion des garanties publiques de Coface à Bpifrance*, si elle a pris de court de nombreux acteurs de l’écosystème du commerce extérieur, n’a rien d’un hasard. Elle intervient, en effet, à quelques mois de l’échéance de la convention qui régit les relations entre Coface et l’État français sur ce sujet et explique en partie le report au 17 mars de la traditionnelle présentation de la politique d’assurance-crédit (PAC) de l’État, qui avait lieu chaque année début février. De quoi relancer le projet « serpent de mer » d’une banque du commerce extérieur****.
Signée en février 2012 sous le gouvernement Fillon, la convention actuelle arrive en effet à échéance en décembre 2015. L’occasion de bousculer les positions acquises – Coface gère les garanties publiques pour le compte de l’État depuis 1946 – et de tenter de dynamiser un système de soutien à l’export qui reste encore segmenté entre Coface – pour l’assurance-crédit et les cautions -, et Bpifrance, pour les financement export aux PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire).
Or, les signes d’une certaine prise de distance entre Bercy et l’assureur-crédit français se sont multipliés ces derniers mois. De fait, les dernières nouveautés en matière de garanties publiques et de soutien à l’export ne sont ni venues de la direction du groupe, ni de la Direction des garanties publiques (DGP) de Coface, mais de l’Élysée et des ministères de l’Économie et des finances, avec la récente décision de confier à la SFIL un nouvel instrument de soutien des grands contrats via le refinancement des banques**, présentée comme la création d’une « grande banque de l’exportation » par le président François Hollande le 6 février à Bercy. Une annonce qui avait déjà pris de court bon nombre d’observateurs.
Bpifrance, dont la tutelle est à Bercy, n’a pas été en reste avec le lancement en octobre 2014 d’un mécanisme de financement des créances export – une « Dailly export- en partenariat avec Euler Hermes (sur appel d’offres), l’un des principaux concurrents de … Coface. Sans compter la mise en chantier par la banque publique de solutions de crédit acheteur pour les contrats de petits montants, typiquement ceux des PME et ETI, la priorité actuelle du gouvernement à l’export. Ou encore les tournées en province et annonces sur l’export de son infatigable directeur général, Nicolas Dufourcq.
Du reste, la question du transfert des garanties publiques de Coface à Bpifrance et à son ancêtre, Oséo, s’était déjà posée par le passé, devenant un véritable serpent de mer aux yeux des observateurs. On avait même parlé, alors que Nicole Bricq tenait les rênes du Commerce extérieur, du retour du « fantôme de la Banque française du commerce extérieur« , qui avait ressurgi lors de la Mission de préfiguration de la nouvelle banque publique. Mais pour le lancement du « label » export de Bpifrance, fin mai 2013, le gouvernement avait finalement arbitré en faveur d’une répartition des taches entre les deux organismes : à Coface les garanties de l’assurance, à Bpifrance les financements****. L’assurance-prospection, produit phare du système de soutien aux PME, était restée dans le giron de Coface.
Mais « du point de vue commercial, Coface n’a pas fait ce qu’il fallait pour promouvoir les aides de l’État : cette activité de gestion des garanties publiques n’était pas une préoccupation majeure de la direction », estime un bon connaisseur du secteur sous couvert de l’anonymat. « Bpifrance se montre beaucoup plus allant de ce point de vue ». Et de rappeler que la priorité de la direction de l’assureur-crédit et de son actionnaire principal, Natixis, depuis la nomination de Jean-Marc Pillu à sa tête, en décembre 2010, était de préparer son retour en bourse afin de permettre à la banque française de réduire son engagement. Un retour en bourse réussi puisque Natixis a placé sans problème 51 % du capital de l’assureur-crédit français en juin 2014.
Par contraste, selon notre interlocuteur, les équipes actuelles à Bercy affichent une réelle volonté de mieux accompagner les exportateurs, tandis que Bpifrance montre de plus en plus d’appétit pour le développement de sa gamme de soutien aux PME et ETI à l’international. « Les grands comptes sont très bien servis par la DGP de Coface, mais il y a un intérêt pour améliorer le service aux petits, » constate-t-il.
Sollicité par la Lettre confidentielle, le cabinet d’Emmanuel Macron a tenu, à cet égard, un langage similaire. Il rappelle que la réforme du commerce extérieur, entamé il y a deux ans, avec notamment la fondation de Bpifrance, est effectuée « avec une logique de rationalisation » et pour apporter « plus de visibilité ». Or, si « les grands groupes identifient facilement Coface », confirme-t-on à Bercy, ce serait moins le cas des PME et ETI. Pour le cabinet du ministre de l’Économie, c’est la tâche de Bpifrance de les aider tant pour l’investissement que pour le financement et le développement international. Et comme la banque publique dispose d’un réseau en région, ses différentes agences possèdent ainsi un rôle de « guichet unique » pour les PME et ETI.
Chez Coface, on savait en tout cas le risque d’une remise à plat, sinon d’une remise en cause, réel. Il est écrit noir sur blanc parmi les risques détaillés pour les investisseurs dans le document de base ayant précédé la mise sur le marché d’une majorité de son capital (page 27 du document de base rendu public le 6 mai 2014 et que l’on peut télécharger sur le site Corporate de la société, www.coface.com). « L’un des facteurs déclenchants, du côté du gouvernement, a peut être été aussi une certaine crainte de voir Coface faire l’objet d’une OPA en bourse alors que via ces garanties publiques, elles est sur des dossiers sensibles comme ceux des contrats export de la Défense », observe encore le spécialiste du secteur contacté par la LC.
Au cabinet d’Emmanuel Macron, on insiste sur le fait qu’aucune décision à ce stade n’est prise. « On communique parce que Coface est coté en Bourse et que pour la stabilité du cours l’État a estimé qu’il fallait afficher ses intentions et communiquer en toute transparence ». Ce qui est lancé est donc « une réflexion » avec Bpifrance et Coface, la Fédération bancaire française (FBF) et les organisations patronales Medef et CGPME étant, pour leur part, consultées. Si on convient que plusieurs scenarii peuvent être envisagés, aucun ne tient la corde, puisque la réflexion est juste engagée. Il est donc impossible, à ce stade, de savoir si le transfert de Coface à Bpifrance se fera, si, « en cas de décision favorable », « on ira plus loin qu’un simple transfert » ou, comme interrogeait la Lettre confidentielle, certaines modalités des garanties publiques seront modifiées.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que Coface se retrouve au pied du mur. Car il n’est pas sûr que cette fois-ci, l’argument des spécificités du métier d’assureur-crédit par rapport à celui de banquier, qui a pu jouer en sa faveur par le passé, puisse tenir. D’un autre côté, les modalités pratiques d’un transfert de la gestion des garanties publiques à Bpifrance ne seront pas aisées à mettre sur pied. « Bpifrance est dénuée d’expertise en la matière. Pour que cela marche, il faudrait un transfert en bloc de l’équipe de la DGP de Coface dans un nouveau département de Bpifrance », estime le spécialiste du secteur qui s’est confié à la LC. Coface, dans son communiqué réagissant à l’annonce de Bercy, a chiffré à 59,9 millions d’euros -4 % de son chiffre d’affaires- la perte de revenus qu’engendrerait un tel transfert, un montant correspondant à ce que lui verse l’État chaque année, sous l’actuelle convention, pour rémunérer ses services. Les discussions entre les deux parties s’annoncent âpres.
Christine Gilguy et François Pargny
*Financement export : Bercy réfléchit à transférer la gestion des garanties publiques à Bpifrance
** Financements export : la nouvelle banque de l’export financera les grands contrats
***Financements : une « Dailly » export disponible chez Bpifrance
**** Quand on reparle d’une fusion entre Oséo et Coface, Plan Bricq : le fantôme de la BFCE refait surface et Bpifrance export s’attaque au millefeuille des aides