Les « privés » de l’OSCI (Opérateurs spécialisés du commerce international) boivent du petit lait, les organismes publics visés –Ubifrance , Bpifrance, Erai– prennent l’affaire au sérieux tout en restant discrets : l’avis rendu le 31 juillet par l’Autorité de la concurrence sur « la concurrence dans le secteur de l’accompagnement à l’international », accompagné d’un communiqué de presse passé inaperçu en plein milieux de l’été, fait pourtant du bruit dans le microcosme du commerce extérieur.
L’affaire est prise au sérieux, c’est une évidence : ni Ubifrance, ni Bpifrance, ni Erai n’ont encore réagi officiellement à cet avis –malgré les sollicitations de la Lettre confidentielle pour les deux premiers- ce qui témoigne, au minimum, que le dossier est délicat.
Sans remettre en cause leur légitimité à intervenir dans le domaine de l’accompagnement international des entreprises, l’avis, un document de 24 pages, pointe les risques, pour certaines de leurs activités, qu’ils enfreignent les règles de la concurrence. L’Autorité de la concurrence émet plusieurs recommandations concrètes pour y mettre fin.
Elle avait été saisie en avril 2013, par l’OSCI, association professionnelle qui regroupe sociétés de commerce internationales et sociétés privées d’accompagnement à l’international, qui lui avait posé douze questions précises relatives aux activités de ces organismes et aux problèmes qu’elles posaient selon lui en terme de concurrence *. Bien que consultatif, ce type d’avis, qui peut être une première étape avant une procédure contentieuse, est généralement respecté par les acteurs qu’il épingle.
Concrètement, que faut-il retenir du contenu de cet avis, qui rappelle longuement les règles applicables et répond précisément à chacune des questions posées ?
Nécessité d’une comptabilité analytique pour Ubifrance
Ubifrance d’abord. « Les subventions allouées à Ubifrance (ndlr : 70 % de son budget) doivent être exclusivement affectées aux activités de service public sous peine de fausser le libre jeu de la concurrence », souligne l’Autorité de la concurrence, qui recommande «la mise en place d’une comptabilité analytique propre à chaque activité ».
La procédure de labellisation des opérations collectives est également dans le collimateur. «Cette procédure conduit directement un opérateur public, l’agence Ubifrance, à décider de distribuer ou non une aide financière à des opérateurs qui sont ses concurrents sur le secteur de l’accompagnement international » souligne le document. Et de recommander que cette procédure «soit confiée à une entité administrative distincte et indépendante ». Baisse des budgets oblige, Ubifrance a cessé d’octroyer des subventions dans le cadre de cette procédure l’an dernier mais elle continue à distribuer le « label » France.
Un » rapprochement » avec les « privés » recommandé à Bpifrance
Bpifrance est, pour sa part, épinglée dans le cadre de son partenariat avec Ubifrance, matérialisé par la présence dans les directions générales de la banque publique de ses chargés d’affaires internationaux (CAI) chargés de prospecter les PME et ETI à potentiel pour leur vendre un accompagnement dans la durée. « Il est à craindre que les entreprises qui s’adressent à Bpifrance pour bénéficier du prêt développement export se tournent spontanément vers Ubifrance pour leurs besoins en services d’accompagnement, dans l’espoir que leur demande de prêt soit traitée de la façon la plus favorable possible », pointe l’Autorité de la concurrence, qui rappelle qu’aucune « exclusivité » de droit ou de fait ne doit exister dans ce cas de figure.
Celle-ci recommande qu’au minimum les demandeurs soient informés que l’obtention de ce prêt «n’est pas subordonnée à l’achat de services » auprès d’Ubifrance, et, « de façon plus optimale », elle suggère « un rapprochement entre Bpifrance et les opérateurs privés du secteur ». Et de citer en exemple la convention de partenariat signée en 2011 entre Coface et l’OSCI, qui aurait permis aux membres de l’OSCI d’accompagner « environ un tiers des entreprises bénéficiant de l’assurance-prospection ».
Erai rappelée au principe de spécialité matériel et géographique…
Enfin, l’agence rhônalpine Erai, chargée du soutien à l’internationalisation des entreprises de Rhône-Alpes, est, elle, épinglée sur la question de la séparation entre ses activités de service public et ses activités concurrentielles. La comptabilité analytique dont elle s’est dotée en 2013 doit être améliorée, selon l’Autorité de la concurrence, certaines catégories d’activités étant « définies de façon trop large pour s’assurer qu’elles ne recouvrent effectivement que des prestations de service public». Son partenariat avec Ubifrance, qui consiste à proposer une offre d’accompagnement intégrée VIE-Implantis**, est, dans ce cadre, aussi dans le collimateur.
Quant à l’élargissement de son offre aux entreprises non rhônalpines, notamment entamée dans le cadre de son partenariat avec Ubifrance, l’Autorité de la concurrence, tout en rappelant le principe de « spécialité » au plan matériel ou géographique, renvoie au juge administratif pour se prononcer « sur le point de savoir si la collectivité régionale concernée agit ce faisant au-delà de ses compétences ».
Etienne Vauchez : « On va leur donner du temps mais clairement, on demandera l’application des recommandations de cet avis»
Pour l’heure, les organismes publics concernés sont discrets. Et tenteront sans doute de minimiser l’impact de ce rappel à l’ordre. « Cet avis n’est pas un carton jaune, c’est un rappel des règles. Sur les zones de frottement avec les opérateurs privés, il faut s’assurer que la subvention ne vienne pas financer les activités en concurrence, souligne ainsi un bon connaisseur du micrososme du commerce extérieur, qui croit savoir que la direction d’Ubifrance « tiendra pleinement compte de cet avis ».
L’an dernier, cette agence a pour la première fois fait certifier ses comptes par un commissaire aux comptes, ce qui est mentionné dans l’avis. « J’imagine que pour l’équipe de direction de l’agence, cette étape constitue un préalable au déploiement d’une comptabilité analytique. C’est une séquence logique », veut croire notre interlocuteur. Et de conclure : « la plus grande erreur serait d’opposer les acteurs publics aux acteurs privés. Il y a de la place pour tout le monde dans l’écosystème ».
Pour l’heure, seule l’OSCI a publié un communiqué le 2 septembre pour se féliciter de ce rappel « des obligations auxquels sont astreint les acteurs subventionnés ». Aux dires de son président, Etienne Vauchez, qui doit réunir son conseil d’administration prochainement pour définir une ligne d’action, les contacts sont d’ores et déjà établis, les échanges de mails ayant été nombreux durant l’été. L’état d’esprit des « privés », ravis d’avoir vu reconnaître « leur problématique», est plutôt constructif : « notre idée est de parvenir à construire un système où personne ne soit asphyxié, où tout le monde puisse travailler », souligne le président de l’OSCI. Ce qui n’empêche pas la fermeté : « On va leur donner du temps mais clairement, on demandera l’application des recommandations de cet avis ».
Alors qu’un dialogue est d’ores et déjà engagé avec Erai, qui est en pleine restructuration dans le cadre de sa fusion avec l’Ardi, l’agence régionale chargée de l’innovation, une rencontre avec Muriel Pénicaud, nouvelle patronne d’Ubifrance, est d’ores et déjà envisagée fin septembre sur ce sujet, et le dossier sera à l’ordre du jour du premier rendez-vous demandé avec Thomas Thévenoud, le nouveau secrétaire d’Etat au Commerce extérieur.
Christine Gilguy
*Lire : Aides à l’export : les privés saisissent l’Autorité de la concurrence
**Lire : L’offre intégrée Ubifrance/Erai donne naissance à un géant de l’accompagnement export
En savoir plus :
L’intégralité de l’avis est en ligne sur le site de l’Autorité de la concurrence