C’est une petite révolution culturelle qui ne dit pas son nom. L’Agence française de développement (AFD), le principal bras financier du gouvernement en matière d’aide au développement, va avoir les coudées franches pour inscrire aussi son action dans la « diplomatie économique » avec le nouveau cap que lui fixe Laurent Fabius. Ce qui ne manquera pas d’intéresser les entreprises françaises qui décrochent des contrats dans le cadre de marchés publics que l’AFD finance.
Tout est contenu dans un discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères pour ouvrir les « Journées du réseau » de l’AFD, le 7 janvier. Le Quai d’Orsay partage en effet la tutelle de l’agence avec le ministre de l’Économie et des finances, Pierre Moscovici, et d’autres ministères mais il en a pris incontestablement le «leadership » politique.
L’AFD devrait ainsi se voir clairement indiquée, dans la prochaine feuille de route qui lui sera fixée dans le cadre de son contrat d’objectifs et de moyens, sa participation à différentes priorités, dont le redressement économique du pays par le soutien à ses entreprises et donc à l’emploi. « J’ai demandé à l’AFD, sans remettre en cause sa vocation au service de la solidarité internationale, de pleinement contribuer à nos intérêts économiques » a précisé Laurent Fabius, non sans prendre soin de préciser qu’il ne s’agissait ni d’une remise en cause du « déliement » de l’aide, ni d’un retour «aux protocoles d’antan, aux éléphants blancs et aux procédures douteuses ».
Tout en se défendant de vouloir se substituer aux dirigeants de l’opérateur –un projet d’action « diplomatie économique » devait être présenté en ce début d’année au conseil d’administration de l’agence-, Laurent Fabius n’a pas résisté à la tentation de donner sinon des directives, du moins « ses souhaits », très concrets en l’occurrence, pour la mise en musique de cette nouvelle partition :
1/ « L’AFD doit intensifier son dialogue direct avec nos entreprises aussi bien au niveau des agences locales que du siège ».
2/ « Renforcez vos échanges avec les grands groupes, avec – c’est plus compliqué – les PME, les cabinets d’ingénierie, les chambres de commerce et d’industrie et l’ensemble des acteurs de développement international de l’économie française (…) notamment à la BPI, à Ubifrance, et à d’autres ».
3/ Que l’AFD, qui gère un fonds dédié aux financements de prestations d’expertises techniques de 20 millions d’euros, le Fext, « s’implique dans les discussions sur le chantier de la rationalisation de l’expertise française à l’international, chantier que nous avons ouvert et dont le ministère des Affaires étrangères a le leadership ».
4/ Systématiser, pour chaque pays, la réalisation par les bureaux de l’AFD « d’une analyse fine des secteurs dans lesquels une offre française est susceptible de rencontrer le besoin de nos partenaires » et « sur cette base, élaborer un plan d’action pour déterminer précisément parmi ces secteurs, ceux qui présentent un intérêt économique et commercial ». Ceci, bien évidemment, « en lien » avec les conseils économiques que le ministre a demandé à chaque ambassadeur de créer et de piloter.
Sur ce quatrième point, non seulement Laurent Fabius souhaite que ces éléments soient pris en compte et indiqués dans les documents de stratégies pays, mais il veut que «dans les fiches de présentation des projets au comité d’identification, au comité des financements et au comité d’engagement, figure désormais une rubrique dédiée à l’analyse des intérêts économiques français».
Si le déliement de l’aide n’est pas remis en cause, c’est donc en amont des projets, au moment des études préalables, que les intérêts des entreprises françaises seront clairement identifiés. A charge pour elles de se tenir informées pour se positionner. Pour les entreprises potentiellement intéressées par des appels d’offres et contrats liés à des projets financés par l’AFD, l’enjeu est loin d’être négligeable : l’AFD va voir sa capacité d’engagement augmentée dès cette année, de 7,5 milliards d’euros (engagements 2013) à 8,5 milliards d’euros. Avec comme priorités hautes, l’Afrique et la lutte contre le dérèglement climatique, notamment dans la perspective du sommet Paris Climat de 2015.
Christine Gilguy