On croyait enterré à jamais le « Rapport sur la contrefaçon des vins et spiritueux », réalisé il y a deux ans par la Commission vins et spiritueux du CNCCEF (Comité national des conseillers du commerce extérieur). Finalement, alors que la Chine vient de s’engager à reconnaître les indications d’origine pour les bordeaux*, il est ressorti en catimini : une mise à jour, en date de mai 2015, a, en effet, été publiée par les mêmes CCEF. Sauf qu’entre temps, la Commission ad hoc a disparu, remplacée par un groupe d’experts dans les vins et spiritueux que préside Jean-Claude Rieflé, président des Domaines Rieflé, à Pfaffenheim, près de Colmar, et que son président à l’époque, James de Roany, pour sa part, n’a pas obtenu le renouvellement de son mandat de CCEF fin 2014.
« Le rapport, remis il y a deux ans à la ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, mentionnait des volumes de vins contrefaits en Chine. Et certains professionnels bordelais n’ont pas apprécié que James de Roany dise qu’une partie des vins français touchés par ce fléau étaient du bordeaux, ce qui lui a coûté son mandat », déplore un CCEF. « On peut dire çà comme çà », confirme à la Lettre confidentielle Jean-Claude Rieflé.
Dans la version mise à jour du rapport, des marques comme Lafitte ne sont plus citées. Mais globalement, le contenu a peu évolué, faisant surtout l’objet d’une actualisation. « Il y a deux ans, notre rapport était trop précoce, insiste le président du groupe vins et spiritueux du CNCCEF. Nos investigations étaient justes, mais, de façon générale, on était trop préoccupé pour parler ouvertement du sujet. Aujourd’hui, les lignes bougent. L’indication géographique « bordeaux » vient d’être reconnue par Pékin, qui a pris conscience que çà doit changer ».
Former les autorités chinoises, pénaliser les contrefacteurs
Les raisons de cette évolution sont au nombre de deux, selon Jean-Claude Rieflé : «d’abord, la contrefaçon prive l’État chinois de taxes. Ensuite, il entrevoit déjà la possibilité un jour de commercialiser à l’étranger du vin Made in China et donc souhaite balayer devant sa porte ». C’est pourquoi, parmi les recommandations du rapport, les CCEF préconisent d’apporter des formations aux autorités chinoises sur les appellations, la propriété industrielle ou la notion de terroir.
Parallèlement, ils proposent de mener « une action de lobbying envers le gouvernement chinois, avec pour but de pénaliser (recel) les importateurs et distributeurs chinois (principaux contrefacteurs), mais également pour uniformiser les droits de douane, en faisant abstraction de la provenance géographique des produits (une trop grande disparité encourageant la contrefaçon) ».
Des solutions, dites technologiques, peuvent encore être introduites : systèmes de marquage, d’anti-remplissage, logiciels de traçabilité, etc. « Elles ont un coût, reconnaît Jean-Claude Rieflé, mais, pour ce patron qui connaît bien les syndicats viticoles pour y avoir assumé des responsabilités, « il faut prendre exemple sur l’automobile qui s’est doté d’une plateforme commune pour vérifier l’authenticité des produits ».
La PME familiale qu’il pilote aujourd’hui avec ses enfants exporte encore peu en Chine. «Nous sommes encore trop petits pour y être imités », plaisante-t-il. En revanche, l’entreprise alsacienne, qui réalise deux tiers de ses ventes en Europe et au grand large, livre notamment au Japon et en Amérique du Nord. Pour lui, un des moyens les plus efficaces de lutter contre la contrefaçon est de dépasser la seule exportation de cépages et de monter d’une strate avec des grands crus. « Un chardonnay est délocalisable et peut-être produit partout dans le monde ». C’est plus difficile pour un grand cru, qui assure de la qualité du vin sur une base géographique.
François Pargny
*Chine/France : Pékin reconnaît l’indication géographique “bordeaux”