Quelque 300 personnes présentes, dont une vingtaine de responsables de sociétés ukrainiennes, autant du côté français, et un total de 90 rendez-vous B to B programmés. Alexis Struve, le directeur de Business France à Kiev, ne boudait pas son plaisir, lors du Forum d’affaires franco-ukrainien, organisé le 28 octobre dernier, à Bercy. « C’est un pays vivant et très dynamique », confiait-il ainsi à la Lettre confidentielle.
L’Ukraine se trouve à un tournant politique et économique. Malgré le péril que constitue toujours à l’est la guerre civile, le gouvernement dirigé Volodymyr Hroïsman a décidé de mettre un peu d’ordre dans la maison en s’attaquant à l’environnement bureaucratique et délictueux de son économie. Une préoccupation et une nécessité pour les bailleurs de fonds soutenant l’Ukraine qui a choisi de s’ancrer à l’Europe, sans exclusive, avec l’entrée en vigueur, prévue l’an prochain si l’épineux problème du blocage néerlandais trouve une solution*, de l’accord d’association avec l’Union européenne (UE).
M. Sapin souligne la « forte attente » des entreprises françaises
Ouvrant le forum, Michel Sapin, le ministre français de l’Économie et des finances, a déclaré que « cet accord ne signifie pas une remise en cause des liens de l’Ukraine avec d’autres pays partenaires », sous-entendu la Russie. Mais surtout le locataire de Bercy a rappelé que « les bailleurs de fonds bilatéraux, l’Union européenne, les bailleurs de fonds internationaux, se son fortement mobilisés », ajoutant même que s’il y avait eu une « exceptionnelle mobilisation des autorités ukrainiennes », il y avait aussi une « assistance financière exceptionnelle de la communauté internationale ».
Avant de céder la parole au Premier ministre ukrainien, Michel Sapin l’a clairement indiqué : la mobilisation des entreprises françaises à ce forum témoigne « d’une attente forte quant à l’avancée des réformes ». En tournée européenne de promotion auprès des investisseurs, Volodymyr Hroïsman a promis de continuer à lutter contre la corruption et à mettre en place de bonnes institutions.
Invité à s’exprimer après le chef du gouvernement ukrainien, le secrétaire général de l’OCDE, José Ángel Gurria, a indiqué que si l’investissement direct étranger (IDE) avait repris en 2015 (plus de 3,5 milliards dollars), après avoir baissé l’année précédente, il restait plus faible que par le passé. « La consommation nationale attend toujours la reprise, l’environnement économique extérieur demeure difficile, et, selon lui, tout pays avec moins de 3 % de croissance économique (on prévoit + 1,5 % en 2016 et + 2,5 % en 2017) qui veut exporter doit faire plus d’efforts ».
J. Vacher (FMI) : sur la corruption, « le problème, c’est la mise en œuvre »
Si « les contraintes en Ukraine sont encore deux fois plus élevées que dans les autres États de l’OCDE », José Ángel Gurria pointait, néanmoins, des progrès, comme le fait de mettre sur un pied d’égalité investisseurs locaux et étrangers, la création d’un guichet unique pour les procédures d’autorisation (création d’entreprises, permis de construire…), l’instauration d’un système électronique pour les marchés publics et le projet de loi anti-corruption juste présenté au Parlement.
« Les réformes commencent à porter leurs fruits, s’est félicitée Odile Renaud-Basso, la directrice générale du Trésor. L’Ukraine est passée à la 80e place dans le classement Doing Business 2017 de la Banque mondiale, gagnant ainsi trois positions en un an et sept rangs par rapport à 2015. « C’est une politique courageuse qui est poursuivie dans les finances publiques comme dans les secteurs bancaires (82 banques ont été fermées) et énergétique qui en ont besoin. Mais s’agissant de la corruption, si les institutions et la législation sont en place, le problème, c’est la mise en œuvre et il va falloir beaucoup de persévérance et de volonté politique », a prévenu Jérôme Vacher, représentant résident du Fonds monétaire international (FMI).
Du coup, sans être attentiste, le FMI se montre prudent. Il a ainsi envoyé un avertissement très clair à Kiev en ne lui délivrant à la mi-septembre qu’un milliard de dollars sur les 1,7 demandés, ce qui portait quand même à 7,7 milliards en cumul les sommes versées sur les 17,5 milliards promis en avril 2014.
O. Markarova : attirer des investisseurs, « une priorité absolue »
Les représentants des bailleurs de fonds ont tous insisté sur leur bonne collaboration et coordination, « ce qui n’est pas toujours le cas », selon Florence Mangin, la directrice de l’Europe continentale au Maedi (ministère des Affaires étrangères et du développement international), qui s’est particulièrement réjouie de « la très bonne coopération entre les pays et l’Union européenne ». Pour la France, les priorités sont la décentralisation, la réforme de la justice et les finances publiques. Pour la Commission européenne, il s’agit, a détaillé Peter Wagner, chef du groupe de soutien à l’Ukraine, de « la lutte contre la corruption, les finances publiques, la police, la justice et l’Administration publique en général ».
Attirer des investisseurs internationaux « est une priorité absolue » et « le guichet professionnel, sous l’autorité du Premier ministre, va travailler avec les investisseurs sur les problèmes existants pour modifier, par exemple, les législations », a promis Oksana Markarova, première vice-ministre des Finances de l’Ukraine. Enchaînant à la suite de sa collègue au gouvernement, Natalia Mykolska, vice-ministre du Développement économique, a souligné l’intérêt « pour les étrangers de créer des unités de production sur place pour exporter, en profitant des 16 accords de libre échange conclus avec 45 pays au total, dont le dernier avec le Canada ».
B. Lojkine : « l’Ukraine a besoin de 120 milliards de dollars sur 20 ans »
Conseiller du président d’Ukraine, Petro Porochenko, Borys Lojkine occupe une responsabilité centrale au cœur de deux nouvelles instances en constitution, le Conseil national de l’investissement (CNI) et le Conseil national des réformes (CNR). C’est le CNR, dont il est directeur adjoint, qui doit décider de la constitution de la nouvelle Cour suprême, « l’an prochain, espère-t-il, ce qui permettrait ensuite celle des cours d’appel et tribunaux d’instance ».
S’agissant du CNI, dont il est le secrétaire, Borys Lojkine a précisé que « sa composition est en train d’être décidée » et qu’il souhaitait que « des investisseurs de haut niveau y figurent dès décembre prochain ». Le conseiller du président a cherché à se montrer encore plus convainquant en indiquant que « l’Ukraine a besoin de 120 milliards de dollars sur 20 ans », soit une moyenne annuelle de plus de six milliards, pour mener à bien avec de grands investisseurs les programmes d’infrastructures, dans l’énergie et l’agriculture.
« Il va falloir créer un écosystème pour que l’État et le secteur privé collaborent sur des grands projets, l’objectif étant avant décembre de se pencher sur des projets entre 20 et 25 milliards de dollars, avant d’aborder de plus gros, de l’ordre de 300 à 500 milliards et même plus », a affirmé Borys Lojkine, selon lequel l’Ukraine doit parvenir ainsi à un taux de croissance économique « de 7 à 8 % par an ».
François Pargny
*Lire au sommaire de la Lettre confidentielle aujourd’hui : UE / Ukraine : course contre la montre aux Pays-Bas pour sauver l’accord d’association
Pour en savoir plus :
« Rencontres avec les bailleurs de fonds, les agences d’exécution et les partenaires privés », mission à Kiev, organisée les 21 et 22 février par Business France. Contact : [email protected], Tél. 01 40 73 36 11