« Il faut sauver le soldat CETA », un credo qui devrait résonner dans les couloirs du Conseil Commerce prévu ces 22 et 23 septembre à Bratislava. Car si certains États comme la France, l’Allemagne ou la Belgique ont publiquement affiché leur hostilité aux négociations de libre-échange menées depuis 2013 avec Washington*, ils continuent à soutenir l’accord similaire conclu avec le Canada après sept ans de pourparlers, le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement). Objectif ? Parapher le traité lors du prochain sommet UE / Canada prévu le 27 octobre prochain.
En tournée européenne cette semaine, Chrystia Freeland, la ministre canadienne du Commerce, devait d’ailleurs rencontrer ses homologues européens en Slovaquie pour s’assurer que l’échéance, plusieurs fois reportée, sera cette fois bel et bien maintenue. Pour la Commission européenne à Bruxelles l’enjeu aussi est de taille. « Si le CETA ne passe pas ce sera la fin de la politique commerciale européenne », avait averti, avant l’été, Jean-Luc Demarty, le directeur général en charge du Commerce à la Commission.
Pour les artisans de cet accord, il reste en effet « le meilleur et le plus progressiste jamais négocié par l’UE ». Parmi les avantages mis en exergue par l’exécutif européen figurent les nombreuses concessions consenties par Ottawa, notamment pour ouvrir leurs marchés publics aux entreprises de l’Union européenne (UE). « Ils ont également accepté les nouvelles règles d’arbitrage, proposées l’an passé par Cecilia Malmström pour régler les différends investisseurs/État », souligne un membre du cabinet de la commissaire au Commerce.
Même Jean-Claude Juncker est monté au créneau pour défendre les vertus du CETA. S’il n’a pas évoqué le TTIP lors de son discours annuel sur l’État de l’Union la semaine passée, il a néanmoins exhorté les États membres à respecter leurs engagements en finalisant au plus vite le traité UE / Canada.
La course contre la montre a commencé
Mais le temps presse et les derniers obstacles ne sont pas encore levés. Les pressions exercées par plusieurs capitales – notamment Paris et Berlin – ont contraint la Commission européenne à reconnaître, en juillet dernier, le CETA comme un accord mixte. Conséquence? Celui-ci devra être soumis à l’approbation du Parlement européen (PE) et de tous les parlements nationaux du bloc européen pour entrer en vigueur.
Or, cette ratification est encore loin d’être acquise dans certains États membres : pour des raisons diverses, ça coince encore en Autriche, en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie mais aussi en Belgique où les parlements régionaux francophones ont voté des résolutions anti-CETA empêchant le gouvernement fédéral d’apposer sa signature au traité. La solution mise en avant à Bruxelles viserait à faire accepter l’application provisoire de l’accord dès janvier prochain en attendant que les parlements nationaux se prononcent. Dans ce cas de figure, seul le feu vert du PE et des gouvernements seraient requis.
La course contre la montre a donc bel et bien commencé. Car les dirigeants se heurtent également à une contestation croissante au sein de l’opinion publique, alimentée par la coalition anti-TTIP.
Au Parlement européen (PE), mises en garde se multiplient
Au PE, les mises en garde se multiplient elles aussi, et l’accord passé entre le Parti populaire européen (PPE) et les Socialistes et Démocrates (S&D) – les deux principales familles politiques au sein de l’hémicycle – pourrait être fragilisé par certains élus frondeurs qui voient dans le CETA le « cheval de Troie » du TTIP. « Voilà 30 ans que le Canada est associé avec les États-Unis dans l’Alena et des milliers d’entreprises US sont établies au Canada tandis que 80 % des entreprises américaines en Europe ont également des filiales au Canada. Il y a donc de vrais enjeux avec le CETA, même si le TTIP ne devait jamais voir le jour ! », souligne Maria Arena, eurodéputée (S&D, Belgique), membre de la Commission Commerce international (INTA) du PE.
Opposés depuis toujours à l’accord, les Verts multiplient les actions pour suspendre la ratification du traité commercial. Dernière en date : la diffusion d’une étude publiée le 15 septembre par l’université de Tufts aux États-Unis. Celle-ci prévoit la destruction de 200 000 emplois en Europe, dont 45 000 en France, un détournement du commerce intra-européen vers le Canada, une hausse des déficits publics et une baisse de la croissance en Europe, en particulier en France (-0.65%) et en Italie*.
Vice-président de la Commission INTA, Yannick Jadot (Verts, France), déplore un manque de cohérence du gouvernement français. « Quand le ministre français Fekl proclame héroïquement la fin des négociations TTIP, ce n’est pas parce qu’il aurait subitement compris les dangers qui pèsent sur la démocratie (…). Ce qui intéresse le ministre Fekl, c’est de signaler aux Américains l’intransigeance française aussi longtemps que ses multinationales n’obtiendront pas les marchés publics américains », déplore-t-il dans un communiqué exhortant Paris à ne plus seulement demander l’arrêt des négociations du TTIP mais aussi de refuser la ratification du CETA.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Pour consulter l’étude publiée par l’université de Tufts : http://www.ase.tufts.edu/gdae/policy_research/ceta_simulations.html
Pour prolonger :
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