Rien ne va plus entre Berlin et Ankara. Si les relations entre les deux capitales n’ont cessé de se détériorer depuis le coup d’État manqué en Turquie en juillet 2016 et la purge orchestrée ensuite par le président Reccep Tayyip Erdogan, les récentes déclarations d’Angela Merkel ont sérieusement mis le feu aux poudres. De quoi porter un coup fatal à des négociations d’adhésion qui, de toute façon, piétinent depuis plusieurs années.
Rappelons que lors d’un débat électoral télévisé avec son adversaire social-démocrate Martin Schulz, dimanche 3 septembre, la chancelière a ainsi déclaré vouloir mettre un terme aux négociations d’adhésion à l’Union européenne de la Turquie. « Il est clair que la Turquie ne doit pas devenir un membre de l’Union européenne », a asséné la grande favorite du prochain scrutin législatif fédéral allemand, ajoutant qu’elle rechercherait « une position commune dans ce sens avec ses collègues européens après les élections de septembre ».
Fin de l’entente cordiale
Ces déclarations risquent de sonner le glas d’une longue entente cordiale entre l’Allemagne et la Turquie. Si jusqu’ici Berlin avait mis ses critiques en sourdine – notamment pour ne pas menacer l’accord migratoire conclu entre Bruxelles et Ankara -, l’approche d’un scrutin crucial pour le gouvernement en place a visiblement changé la donne. L’ampleur des purges menées par le régime Erdogan et la mise en détention d’une dizaine de citoyens allemands ne pouvaient plus être ignorées par le gouvernement de la chancelière, pourtant connue pour son pragmatisme.
« Elle a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas », confie un haut responsable de la DG Élargissement à Bruxelles. Une sortie du bois qui va plutôt dans le sens de son commissaire, l’Autrichien Johannes Hahn, lui aussi échaudé par les déclarations de Recep Tayyip Erdogan appelant les Turcs allemands à ne voter pour aucun des deux partis au pouvoir lors des élections fédérales de septembre. Selon lui, Bruxelles doit désormais changer d’approche à l’égard de la Turquie. « Je crois qu’il est temps que les États membres discutent des implications stratégiques de ce comportement. Hausser les épaules n’est pas une stratégie politique sur le long terme », martelait-il le 21 août, dans une interview accordée au Süddeutsche Zeitung.
Quelques jours plus tard, le président de l’exécutif donnait raison à son commissaire. « La Turquie s’éloigne de l’Europe à pas de géants. La question est de savoir si nous devons mettre fin aux négociations avec la Turquie, mais tout cela n’est que pure théorie puisqu’il n’y a pas de négociations pour l’instant », a indiqué Jean-Claude Juncker lors d’une réunion des ambassadeurs européens à Bruxelles, le 31 août.
Clarifier les relations entre Bruxelles et Ankara
Reste à savoir si les Européens auront le cran de tenir tête à un allié incontournable, également membre de l’OTAN. « Je pense qu’il (Erdogan) voudrait que l’UE dise qu’elle veut mettre fin aux négociations pour qu’il puisse jeter toute la responsabilité sur l’Europe et non sur la Turquie… Je voudrais donc que nous procédions de telle manière que les Turcs réalisent que ce sont eux, le système Erdogan, qui rendent l’adhésion de la Turquie impossible », a affirmé le président de la Commission.
La suspension des négociations aurait au moins le mérite de clarifier les relations entre Bruxelles et Ankara. Car, dans les faits, les négociations patinent depuis plusieurs années. C’est en 1987 que la Turquie s’est officiellement portée candidate à rejoindre l’UE. Et ce n’est qu’en 2005 que les négociations ont vraiment commencé. Des pourparlers qui portent sur 35 thématiques différentes, 35 chapitres dit-on dans le jargon européen. Et seulement 17 de ces chapitres ont été ouverts jusqu’à présent.
Un « marché de dupes », pour Guy Verhofstadt, le président du groupe des Libéraux (ALDE) au Parlement européen. « Nous savons tous ce que les autorités turques veulent. Elles veulent adhérer à l’Union européenne, elles veulent la libéralisation des visas le plus rapidement possible, elles veulent plus d’argent dans le cadre de l’accord sur la migration, et elles ne veulent aucune ingérence, aucune critique sur ce qui est en train de se passer là bas. Elles passent à un système autocratique. Mais ne nous laissons plus berner. Nous savons tous que cela n’a rien à voir avec les valeurs européennes ». A l’instar d’une très large majorité d’eurodéputés, il avait voté, en juillet dernier, en faveur d’une résolution, non contraignante, exigeant le gel des négociations avec la Turquie. Si les Vingt-huit décidaient donc de mettre un terme à ces pourparlers, ils savent pouvoir compter sur l’appui des élus européens.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–UE / Turquie : Bruxelles veut redéfinir son partenariat avec Ankara
– UE / Turquie : une modernisation de l’union douanière pour apaiser les tensions
–Turquie/Afrique : les ambitions de Recep Tayyip Erdogan