A défaut d’avoir vu ses idées sur le commerce gagner du terrain lors du dernier Sommet à Bruxelles*, Emmanuel Macron a bien remporté sa première bataille européenne sur la réforme de la directive sur les travailleurs détachés, mais au prix d’un compromis qui a obligé la France à lâcher du lest sur plusieurs aspects. Ce qui a d’ailleurs permis, après plus de douze heures de discussions le 23 octobre au Luxembourg, de mettre enfin d’accord les ministres européens du Travail et des Affaires sociales sur la révision de cette directive datant de 1996, une des promesses de campagne du président français et une de ses priorités dans le cadre de sa stratégie réformatrice d’une Europe qui protège. D’où la question : est-ce une victoire réelle ou en demie-teinte ?
Un peu des deux sans doute. Car le dossier était un casse-tête diplomatique. Discutée depuis 18 mois à la Commission d’abord, puis au Parlement européen, la réforme de cette directive était soutenue par une majorité des pays dit de la ‘vieille Europe’ au nom de la lutte contre le dumping social. Mais les États d’Europe centrale et orientale, qui ont intégrés l’UE en 2004 et en 2007, étaient naturellement plus rétifs à accepter une refonte du texte mais lors du vote final, seules la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et la Pologne ont voté contre. La Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie et la République tchèque ont, quant à elles, basculé dans le camp français.
Un gros travail de concertation
Une preuve du bien-fondé de la méthode Macron ? C’est en tout cas le message diffusé par Paris : « il y a eu un gros travail de concertation, le président a vu 23 de ses homologues sur 28, la France a beaucoup plus parlé à l’Est ces derniers mois que durant ces dix dernières années. Et des pays comme la Bulgarie et la Roumanie veulent clairement s’engager dans l’Europe qui avance », s’est félicité l’Élysée dans un communiqué.
Pour la France, l’accord scellé dans la nuit du 23 au 24 octobre est plus ambitieux encore que le texte proposé par la Commission. La principale victoire ? La réduction à 12 mois de la durée des contrats de travail détaché, contre 24 mois dans la proposition initiale. Ce plafond pourra néanmoins être relevé de six mois sur décision du pays d’accueil.
La lutte contre la fraude sera elle aussi renforcée. Pour être détaché, un salarié devra avoir été affilié à la sécurité sociale de son État d’origine pendant au moins trois mois.
La plateforme européenne de lutte contre le travail illégal devra également faciliter l’identification des fraudes et autres contournements comme les entreprises boîtes aux lettres, méthode prisée par certaines sociétés notamment dans le secteur routier. Ces dernières créent des filiales, ou plutôt de simples boites aux lettres, juste de quoi embaucher, à bas prix, des chauffeurs résidant à l’est du continent. Ces ‘forçats de la route’, comme les ont surnommés les médias, rejoignent, en autobus, leurs véhicules stationnés à l’ouest du bloc, où ils s’installent ensuite pendant six à huit semaines dans des conditions extrêmement précaires.
« A travail égal, salaire égal », ce principe au cœur de la révision de la directive deviendra donc la règle une fois la réforme mise en œuvre. « Avec la révision, ce sont l’ensemble des éléments de salaire que touchent les salariés nationaux qui doivent lui être versés : prime de repas, prime de risque, par exemple, mais également les remboursements de frais tels que les repas ou l’hébergement. Les salariés seront ainsi mieux protégés et la concurrence sera plus équitable », précise le communiqué du gouvernement français.
Le transport exclu, du moins momentanément
Mais comme dans toute négociation, Paris a néanmoins lâché du lest pour parvenir à ce compromis en renonçant, momentanément du moins, à inclure le transport de passagers et de marchandises dans le champ d’application de la directive ‘travailleurs détachés’.
Ce domaine sera en effet couvert par les textes du ‘Paquet mobilité’, présenté le 31 mai par la Commission et qui devra désormais être débattu au sein du Parlement. Ce nouvel arsenal législatif précise notamment les règles en matière de cabotage, qui permettent à un transporteur polonais venu livrer des marchandises en France, par exemple, d’effectuer des opérations locales en chemin et donc de concurrencer directement les entreprises du pays concerné.
Bruxelles propose de limiter le cabotage à trois jours dans un même mois. Au delà de cette période autorisée, les règles du détachement s’appliqueraient au chauffeur et à l’entreprise qui l’emploie. « Rappelons qu’en 15 ans, 21 000 emplois ont été détruits en France dans le secteur. Stopper l’hémorragie n’est plus une option, c’est une nécessité. L’Europe sociale ne doit pas se faire à la carte ! Nous attendons du président Macron qu’il poursuive son effort et aille au bout du combat pour protéger les salariés du secteur routier », a averti Karima Delli, eurodéputée française du groupe des Verts et présidente de la commission Transports au PE.
L’Espagne et le Portugal ont rejoint les Pays de l’Est
La France a néanmoins été contrainte de céder sur ce volet pour obtenir un compromis global. Outre les pays de l’Est, l’Espagne et le Portugal avaient eux aussi monnayé leur accord sur la directive ‘travailleurs détachés’ en échange de l’exclusion du transport routier dans le dispositif. Très présents à l’international, ces deux États du sud de l’Europe effectuent eux aussi des opérations de cabotage au sein de l’UE, mais n’étant pas des pays de transit, à l’instar de la France, ils ne subissent pas de plein fouet la concurrence des transporteurs de l’Est.
Autre point sur lequel Paris a également dû transiger : la période d’entrée en vigueur de la directive ‘travailleurs détachés’. A la demande des pays de l’Est, celle-ci ne s’appliquera qu’après une période de transition de quatre ans. Si le texte est bien adopté d’ici à la fin de l’année, il ne sera donc pas mis en œuvre avant 2022.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : UE / Commerce : E. Macron peine à imposer sa vision d’une Europe plus protectrice
Pour prolonger :
–UE / Social : la longue marche vers la révision de la directive Travailleurs détachés
–UE / Canada : la commission Emploi et affaires sociales du PE appelle à voter contre le CETA