L’impatience gronde au sein du bloc européen. Si les agriculteurs, qui manifestaient à Bruxelles la semaine passée, ont clairement revendiqué la levée des sanctions de l’Union européenne (UE) contre la Russie, pour permettre la fin de l’embargo russe sur les produits alimentaires européens, les milieux d’affaires opèrent quant à eux en coulisses pour infléchir la position des 28.
Sur ce dossier, qui empoisonne les relations bilatérales entre Moscou et Bruxelles, le consensus difficilement obtenu au sein de l’UE semble en effet de plus en plus fragile. Une position qui inquiète d’ailleurs les Etats-Unis, partisans d’une ligne dure vis-à-vis de la Russie depuis le début de la crise ukrainienne. « Mais leur économie est moins pénalisée par les mesures de rétorsion appliquées par Moscou », soulignait un diplomate européen. « Je crois qu’il y a de plus en plus de débats entre Européens pour aboutir rapidement à la levée des sanctions. J’entends que les pressions sont croissantes au sein de nombreux Etats membres, en particulier en Allemagne », déplorait le sénateur américain John McCain.
France, Allemagne, Italie : pression des milieux d’affaires
Le sujet a, d’ailleurs, alimenté les discussions en marge de la conférence de Munich le 13 février dernier. Deux semaines plus tôt, le gouvernement français avait en effet clairement affiché sa position à travers les déclarations de son ministre de l’Économie, notamment : « L’objectif que nous partageons toutes et tous, c’est de pouvoir lever l’été prochain les sanctions parce que le processus aura été respecté », avait alors déclaré Emmanuel Macron, lors d’une intervention devant des hommes d’affaires français, en référence aux accords de Minsk signés début 2015 pour régler le conflit dans l’Est de l’Ukraine. Même son de cloche du côté du ministère de l’Agriculture : « Bien sûr, je souhaite une levée des sanctions, le président de la République le souhaite également, je suis allé en Russie pour négocier avec les Russes à ce sujet », a indiqué Stéphane Le Foll, rappelant que la décision finale incombait non pas à la France mais à l’UE.
En Allemagne, les milieux d’affaires souhaitent également renouer le partenariat commercial avec la Russie. Lors de la conférence sur la coopération économique russo-allemande, organisée à Berlin la semaine passée, les nombreux participants ont plaidé en ce sens, rappelant l’impact des mesures imposées de part et d’autre. En 2015, les exportations allemandes vers la Russie ont diminué de 25 %. Si elles se montaient à 23 milliards d’euros il y a deux ans, elles ont, depuis, chuté de moitié. A l’instar de la France, le président du Comité pour les relations économiques avec l’Europe de l’Est, Wolfgang Buchele, a lui aussi espéré que les sanctions seraient levées le 31 juillet 2016, précisant que son avis était partagé par 88 % des entrepreneurs allemands en affaires avec la Russie.
Le fléchissement des positions françaises et allemandes devraient aussi réjouir l’Italie, hostile depuis le début de la crise à la politique de sanctions mises en œuvre par l’UE. « L’approche anti-russe ne conduira nulle part », avait décrété le Premier ministre Matteo Renzi, raison pour laquelle il avait bloqué, en décembre dernier, la décision de prolonger les sanctions avant de se raviser sous la pression de ses homologues européens.
Les menaces russes de changer de partenaires
Enfin, du côté russe, les appels du pied à l’Europe se sont également multipliés récemment. Dans une tribune publiée par plusieurs journaux européens le 22 février, et intitulée « Les relations commerciales UE/Russie », Vladimir Chizhov, l’ambassadeur de la Russie à Bruxelles, met en garde les 28 : plus les sanctions dureront, plus la Russie se tournera vers de nouveaux partenaires. « N’allez pas penser que nous nous plaignons. Notre pays s’est récemment engagé à développer ses relations avec d’autres partenaires. Avec la Chine d’abord, via ‘la ceinture économique de la route de la soie’ ainsi qu’avec les membres de l’organisation de coopération de Shanghai. L’Union économique eurasiatique a signé un accord de libre-échange avec le Vietnam et d’autres pourparlers similaires sont en cours », écrit l’ancien ministre russe des Affaires étrangères.
Ce dernier invite néanmoins les deux parties à plus de modération « pour ne pas perdre l’ambition d’un avenir commun » et propose de repenser le cadre même du futur partenariat, non plus sous un format bilatéral, mais en impliquant la Commission économique eurasiatique. « Nous ne devons pas oublier les expériences positives qui se sont multipliées ces dernières décennies en gardant à l’esprit à quel point il est difficile de restaurer ce qui a été perdu », conclut-il à la fin de sa tribune.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles