« L’UE est condamnée à l’immobilisme », se félicite-t-on dans les cercles eurosceptiques. Si le constat est amer –et résolument simpliste–, il est hélas difficile à contredire aux vues des maigres avancées réalisées à l’issue du dernier sommet des chefs d’État et de gouvernement, à Bruxelles les 20 et 21 octobre. Divisés sur les réponses à apporter à la crise migratoire, incapables de garantir la ratification du CETA*, les 28 ont aussi échoué à parler d’une seule voix sur le dossier syrien et sur l’attitude à adopter face à la Russie !
La veille de la réunion, Paris, Berlin et Londres étaient pourtant parvenus à modifier le projet de conclusions en brandissant la menace de nouvelles sanctions à l’encontre des « personnalités et entités soupçonnées de soutenir le régime de Damas ». Si la mention ne visait pas directement les Russes, elles permettaient d’ouvrir le débat et d’envisager l’adoption de mesures restrictives supplémentaires pour « condamner les atrocités commises ces dernières semaines à Alep », expliquait un diplomate favorable à de nouvelles sanctions.
Matteo Renzi s’est ouvertement opposé à un durcissement
Mais c’était sans compter la ferme détermination de Matteo Renzi. Le Premier ministre italien s’est ouvertement opposé à un durcissement de la position européenne, appelant néanmoins les 28 à « mettre tout en œuvre pour promouvoir la paix en Syrie. Mais je ne pense pas que la solution passe par de nouvelles sanctions contre la Russie », s’est-il expliqué devant la presse.
Au-delà des justifications géopolitiques, Matteo Renzi répond surtout aux préoccupations depuis longtemps exprimées par les représentants de l’industrie italienne. « Je partage vos objectifs stratégiques, mais il n’est pas judicieux de couper le dialogue avec Moscou », aurait-il martelé à ses homologues derrière les portes closes du sommet, ajoutant que des mesures restrictives risquaient au contraire de renforcer la légitimité de Vladimir Poutine.
Second pays européen exportateur en Russie, après l’Allemagne, l’Italie est en effet l’un des États européens les plus touchés par les sanctions mises en place par l’UE depuis 2014, dans le cadre du conflit ukrainien. Selon l’agence italienne de crédit à l’exportation Sace, la part des marchandises exportées vers la Russie, au cours de ces deux dernières années, aurait chuté de 30 %, soit une perte estimée à 6,5 milliards d’euros en 2016. « Les pressions du lobbying industriel sont très fortes pour que Matteo Renzi obtienne la levée pure et simple des sanctions », confiait un diplomate italien.
À cela s’ajoute les condamnations croissantes des représentants de deux partis d’opposition, la ligue du nord, à l’extrême droite de l’échiquier politique et celles issues du parti « anti-establishment », le mouvement cinq étoiles. Au sein même de sa famille politique, Matteo Renzi a récemment dû subir une pluie de critiques. Lors d’un débat parlementaire, avant le sommet européen, plusieurs députés du Parti démocratique (PD) ont remis en cause l’efficacité des sanctions. « Ont-elles permis un nouvel équilibre sur la scène internationale? La réponse est non. Elles ont par contre coûté des milliards à notre économie », s’est inquiétée Silvia Fragolent, membre du PD.
« Nous ne voulons pas affaiblir l’Europe… »
Cinq heures de discussions « difficiles », aux dires des diplomates, n’auront donc pas suffi à faire plier le Premier ministre italien. À l’issue d’un dîner « à rallonge », dans la nuit du 20 au 21 octobre, Donald Tusk, le président du Conseil de l’UE, s’est adressé à la presse vers 1h30 du matin. Faute d’annoncer de nouvelles sanctions, comme il l’aurait souhaité, l’ancien Premier ministre polonais a longuement condamné la stratégie russe visant à affaiblir l’UE. Il a notamment abordé la question du MH17, l’avion d’Air Malaysia qui s’est écrasé dans l’est de l’Ukraine le 17 juillet 2014, causant la mort des 298 personnes à bord, dont la majorité (193 personnes) était des citoyens néerlandais. « Les chefs d’État et de gouvernement ont exprimé leur soutien au gouvernement néerlandais », a-t-il déclaré. « Tous les États qui peuvent contribuer à l’enquête et à la poursuite des responsables doivent le faire », a-t-il ajouté.
Sur le dossier syrien, les 28 se sont donc contentés de « condamner fermement » les attaques menées par le régime et ses alliés, dont la Russie, à l’encontre des civils à Alep. Si les violences continuent, l’UE se tient prête à envisager « toutes les options disponibles », a-t-il fait remarquer, faisant référence à des sanctions supplémentaires. Celles-ci ne figurent, cependant, plus à l’agenda européen. « Matteo Renzi n’a pas ménagé ses efforts pour éviter toute nouvelle sanction contre la Russie », « il a fait un gros travail préparatoire », ont déploré des diplomates issus des pays baltes et de Pologne, partisans, quant à eux, d’un durcissement de la position européenne face à Moscou.
Pendant ce temps, au Kremlin, les dirigeants russes feignaient la surprise. « Nous ne voulons pas affaiblir l’Europe, rien n’est plus loin de la vérité », commentait Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, lors d’une rencontre avec des membres de la European Business Association, en début de semaine. Dénonçant les propos « russophobes » de Donald Tusk, il a plaidé pour une Europe forte. C’est « un partenaire uni et indépendant dont nous avons besoin », a-t-il ajouté.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Lire au sommaire de la Lettre confidentielle cette semaine : UE / Libre-échange : après le choc du blocage du CETA, quelle politique commerciale ?