Alors que les responsables de la Commission européenne n’ont cessé de répéter qu’il n’y avait pas de plan B sur la table en cas de vote favorable au « Brexit », le 23 juin prochain, certains États membres promettent de se montrer intraitables en cas de divorce. « Si les Britanniques votent pour une sortie de l’UE, le pays n’aura plus d’accès libre au marché unique », a indiqué Wolfgang Schäuble, l’influent ministre allemand des Finances, dans une interview accordée au Spiegel. Mais c’est surtout la France qui risque de donner du fil à retordre aux Britanniques si ceux-ci décidaient de quitter le navire européen. Dans les coulisses des institutions bruxelloises, les Français militent ainsi déjà auprès de leurs homologues européens – plus ou moins discrètement – pour l’adoption d’une attitude quasi hostile face à la Grande-Bretagne dans le scénario d’un « Brexit ». Motif invoqué ? Décourager d’autres pays d’emboîter le pas aux Britanniques. Paris pourrait donc passer à l’offensive dès le sommet européen prévu fin juin à Bruxelles.
Entamer très rapidement les procédures pour dénouer les liens
La stratégie française viserait à convaincre les Européens d’entamer très rapidement les procédures pour dénouer les liens entre les 27 et le Royaume-Uni. Parmi les actions envisagées : l’annulation des subsides européens, la réévaluation des relations commerciales secteur par secteur, la fin de la reconnaissance par l’UE des organismes nationaux de supervision, notamment dans le secteur financier, ou la mise en œuvre de nouvelles règles en matière d’immigration. « Si on dit, vous sortez de l’Europe mais vous gardez les avantages, l’accès au marché unique sans les contraintes de solidarité, nous enverrions un message terrible au reste de l’UE. Un Brexit sans douleur est impossible pour maintenir un semblant de cohésion au sein de l’Europe », reconnaît un membre de la délégation française au sein conseil de le l’UE.
En France, les déclarations publiques de certains responsables confirment ce positionnement. « Nous devrons éviter une logique punitive », a récemment indiqué Élisabeth Guigou, ajoutant toutefois : « Mais le Royaume-Uni devra se désengager des traités qui le lie à l’Europe. Et je pense que ce processus devra se faire le plus rapidement possible pour ne pas dominer l’agenda global de l’Union ».
Une session extraordinaire du Parlement entre le 24 et le 28 juin
Du côté du Parlement européen (PE), le sujet n’a pas été publiquement abordé lors de la dernière session plénière à Strasbourg la semaine passée. Une discrétion qui visait avant tout à ne pas interférer dans la dernière ligne droite de la campagne, de peur de susciter des réactions négatives outre-Manche, où les partisans du « Brexit » dominent désormais dans les plus récents sondages. Mais en coulisses, plusieurs élus ont reconnu que le Parlement se préparait aux différents scénarios. En cas de « Brexit », une session extraordinaire sera d’ailleurs convoquée entre le 24 et le 28 juin, date de la tenue du conseil européen.
D’ici là, plusieurs élus français ont clairement affiché leur soutien à la stratégie défendue par Paris. « Il faut que ça leur coûte cher, car sinon c’est la porte ouverte à tous les États comme la Slovaquie par exemple, qui vont penser qu’il vaut mieux adopter la stratégie individualiste du Royaume-Uni plutôt que de la jouer collectif », estime Yannick Jadot (Les Verts), vice-président de la commission du Commerce international (INTA) au PE.
Membre de la commission Affaires économiques et monétaires, Sylvie Goulard (ALDE/Modem) estime elle aussi que le passeport européen unique – permettant aux prestataires de services financiers établis légalement dans un État membre de s’établir ou de fournir leurs services dans d’autres États membres sans autre autorisation préalable – ne devrait plus être attribué aux sociétés britanniques en cas de « Brexit ». « Je serai très dure sur ce point », avertit l’eurodéputé. « Il n’y a aucune raison de continuer d’attribuer ces passeports à un pays qui décide, de façon souveraine, de quitter l’UE. Le jour où le divorce est prononcé, les autorités de supervision britanniques ne devront plus être considérées comme des autorités de l’UE », ajoute-t-elle.
Autant de détails qui devront être discutés entre les 27 si l’issue du scrutin est favorable au « Brexit » la semaine prochaine. Si la France garde une influence majeure dans ce type de pourparlers, elle devra accorder ses violons avec l’Allemagne dont le ton a certes été ferme mais jusqu’ici bien moins hostile aux Britanniques. Les traités prévoient des négociations de deux ans environ pour fixer les termes du divorce. Mais la situation serait une première dans l’histoire de la (dé)construction européenne. Faute d’accord entre les 27 sur l’attitude à adopter et en cas de tractations houleuses entre Londres et Bruxelles, les discussions risquent en effet de jouer les prolongations. Dans un entretien accordé au quotidien allemand Bild, Donald Tusk, le président du Conseil de l’UE, a, quant à lui, prédit qu’en cas de Brexit, le divorce plus la renégociation des relations avec l’UE durera au moins 7 ans.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
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