Quatre minutes : c’est le temps qu’il aura fallu aux Vingt-sept, samedi 30 avril, pour adopter les grandes lignes de leur stratégie, qui guideront les négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre du ‘Brexit’. Jamais dans l’histoire de l’UE un accord n’avait été si rapidement conclu. Preuve que les Européens font bloc avant d’entamer les pourparlers.
« C’est la première fois et sans doute la dernière », a tempéré Jean-Claude Juncker devant la presse, lors de la clôture du sommet à 27 ce samedi 29 avril à Bruxelles. Car les pourparlers s’annoncent musclés, confie-t-on dans l’entourage du président de la Commission. Ce dernier aurait même indiqué, à l’issue d’un dîner au 10 Downing Street, la semaine passée, « Theresa May vit dans une autre galaxie ».
Selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung, la Première ministre britannique aurait en effet insisté pour débuter au plus vite les négociations sur un futur accord commercial entre Londres et l’UE, et affirmé que le ‘Brexit’ n’entraînerait pas de facture à régler pour son pays. Autant d’illusions très vite démenties à la lecture du texte adopté par les 27 en un temps record le 30 avril. Car le consensus obtenu vise tant la méthode que le fond de ces futures négociations. Pas question donc pour les Vingt-sept de mener deux discussions en parallèle comme l’espérait Theresa May. On règle d’abord les problèmes du passé avant d’envisager le cadre des futures relations entre Londres et Bruxelles.
Première étape, les modalités du divorce, deuxième étape, la nouvelle relation
La première étape se limitera donc au divorce et à ses modalités. Et dans ce cadre trois priorités ont été définies :
–Première ligne rouge : le sort des citoyens européens résidant au Royaume-Uni : les Vingt-sept veulent des garanties claires pour assurer le respect de leurs droits. Les mêmes règles s’appliqueront évidemment aux Britanniques installés dans un État membre de l’Union.
–Deuxième ligne rouge : le montant du chèque que les Britanniques devront payer au titre des engagements déjà pris auprès de leurs partenaires. La somme de 60 milliards est évoquée à Bruxelles. Un montant qui risque aussi de donner lieu à d’âpres discussions entre les deux blocs.
–Troisième ligne rouge : les Vingt-sept souhaitent enfin s’assurer que le ‘Brexit’ ne remettra pas en cause l’accord dit « du vendredi saint », qui a mis fin à des décennies de conflits en Irlande du Nord. Ils souhaitent en particulier éviter le rétablissement des frontières physiques entre les deux Irlande.
A l’issue de cette première phase et une fois que des progrès significatifs auront été accomplis sur ces dossiers, les Vingt-sept décideront, après un vote à l’unanimité, de lancer la seconde étape de ces négociations. Elle visera à définir les contours de la relation future entre l’Union et le Royaume-Uni.
Les Britanniques ont du mal à admettre qu’ « ils vont tout perdre »
« Les Britanniques ont le plus grand mal à admettre qu’avec le Brexit ils vont tout perdre », commente Jean Quatremer, le correspondant de Libération à Bruxelles depuis plus de 25 ans. Des critiques relayées au Royaume-Uni par Jeremy Corbyn, le concurrent direct de la Première ministre.
Le leader du parti travailliste, qui tente de défendre une autre stratégie pour le ‘Brexit’, à l’approche des législatives du 8 juin, a, en effet, fustigé l’approche de Theresa May en jugeant peu judicieux d’entamer des négociations aussi capitales « en prenant les gens pour des crétins». Même son de cloche, mais en des termes plus diplomatiques, de la part du ‘Mr Brexit’ au Parlement européen, le leader du Parti des Démocrates et Libéraux (ALDE), Guy Verhofstadt. «Un accord sur le Brexit requiert une compréhension forte et stable des questions complexes que cela implique», a-t-il dit en reprenant le slogan principal de Mme May. «Il est temps d’être sérieux», a-t-il ajouté sur Twitter.
Les Britanniques entament donc ces négociations dans une position plus difficile que prévue. Non seulement personne ne veut suivre le Royaume-Uni dans son échappée solitaire, mais les Vingt-sept sont restés unis comme ils ne l’ont jamais été. Ils ont également décidé de ne faire aucun cadeau à Londres. «Dehors, c’est dehors », comme l’a dit Charles Michel, le Premier ministre belge, ajoutant « il n’y aura pas de Brexit gratuit ».
Résultat ? Non seulement Londres n’aura pas d’accès au marché unique – faute de respecter la libre circulation des personnes- et risque de devoir quitter l’union douanière. Mais elle devra aussi payer la facture de son départ. Il n’y aura pas non plus de négociation avant le ‘Brexit’ effectif sur son futur statut, un autre point sur lequel les Vingt-sept ont affiché un front ferme et uni. Dernier avertissement : si Londres décide par dépit de se transformer en plateforme offshore fiscale et sociale, elle peut dire adieu à tout accord avec l’UE.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
UE / Royaume-Uni : face au « hard Brexit » de T. May, les Européens durcissent leur ligne