Est-ce un nouveau dégel dans les relations entre Londres et Bruxelles ? Alors que les négociations sur le ‘Brexit’ étaient au point mort depuis le sommet informel de Salzbourg, le 20 septembre dernier, les lignes seraient désormais en train de bouger, se félicite-t-on à Bruxelles. « Les deux camps veulent un accord pour éviter les conséquences potentiellement désastreuses d’un no-deal », analyse un diplomate européen. Evaluée à 50/50 la semaine passée, l’hypothèse d’un non-accord serait « aujourd’hui un peu moins probable ».
Motif de ce prudent regain d’optimisme ? Londres, qui n’exclurait plus, en dernier recours, une participation indéfinie à l’Union douanière afin d’éviter le retour d’une frontière en dur entre les deux Irlande, le principal point de blocage depuis le lancement des pourparlers. Si la proposition est loin de faire l’unanimité dans le camp britannique, la main tendue par Theresa May « dénote clairement une volonté de sortir de l’impasse », soulignait un porte-parole de l’exécutif européen.
Un accord de libre-échange sur mesure proposé à Londres
Réunis à Bruxelles le vendredi 5 octobre, les 27 représentants permanents auprès de l’UE et Michel Barnier, le négociateur en chef de la Commission, ont donc souhaité mettre sur la table de nouvelles propositions. Objectif : proposer un nouveau cadre aux relations ‘post-Brexit’, susceptible d’être accepté par Londres, et même par les plus farouches ‘Brexiters’. L’idée est de proposer un accord de libre-échange sur mesure, le plus ambitieux jamais signé avec un pays tiers.
Mais plutôt que de présenter un document détaillé, l’offre se résumerait à des grandes orientations, compilées sur 10 à 20 pages maximum, alors que le document relatif au divorce lui même compte plus de 130 pages à ce stade. « Le but est de laisser aux deux camps le plus de marges de manœuvre possible tout en réaffirmant notre engagement de conclure un accord ambitieux, si les Britanniques se montrent disposés à faire évoluer leurs lignes rouges », détaille un diplomate, présent lors de la réunion.
Car ce document est un élément clé de l’accord global qui devra être scellé, au plus tard en novembre, et ratifié par les Parlements des deux blocs d’ici au 29 mars 2019. Celui-ci comprendra l’accord de retrait, définissant précisément les termes de la séparation – en particulier la facture du divorce, le droit des ressortissants européens et l’épineuse question irlandaise -, et les orientations de la future relation UE / Royaume-Uni, dont les détails pourront quant à eux être finalisés pendant la phase de transition.
Les questions qui fâchent seraient traitées dans un deuxième temps
« Un accord de libre-échange renforcé, même si tout reste à définir, reste la solution la plus acceptable pour tous et la plus facile à faire adopter », explique-t-on dans l’entourage de Michel Barnier. Les questions qui fâchent – alignement réglementaire, respect des normes sociales et environnementales en vigueur au sein du marché unique, afin d’éviter toutes distorsions de concurrence – seront donc traitées dans un deuxième temps, une fois le divorce officiellement prononcé.
Si la stratégie est acceptée par les négociateurs britanniques, seuls les termes du divorce devront être finalisés au cours de ces prochains jours. Le ministre irlandais des Affaires étrangères, Simon Coveney, a affirmé le 7 octobre que le texte de l’accord de retrait était bouclé « à 90 % », bien que le problème de la frontière irlandaise reste un point d’achoppement. « J’ai bon espoir, et presque la quasi certitude désormais que nous parviendrons à finaliser dans les temps l’accord de retrait et à adopter une déclaration commune sur nos relations futures qui soit la meilleure possible », a estimé Donald Tusk, le président du Conseil européen.
De l’autre côté de la Manche un ton plus circonspect
Mais de l’autre côté de la Manche le ton était plus circonspect. « Il reste de gros problèmes à résoudre et comme l’a dit la Première ministre, cela nécessite des gestes du côté de l’Union européenne », rectifiait un porte-parole du gouvernement lors d’un point presse à Londres le 8 octobre. « Il y a une différence entre l’optimisme affiché par certains quant à la conclusion d’un accord, et la conclusion effective d’un accord incluant à la fois l’accord de retrait et le cadre de la relation future ».
Selon les médias britanniques, Theresa May ne soutiendrait pas la proposition de Bruxelles visant à définir la relation future dans des « termes vagues », assimilée – par les plus critiques – à un « Blind Brexit » (‘Brexit’ aveugle). Les déclarations récentes des responsables européens ne seraient donc qu’une « nouvelle tactique de négociation », selon des sources gouvernementales, citées par le site d’information Business Insider *.
« Ils veulent noyer le poisson et faire porter aux Européens la responsabilité en cas d’échec dans cette phase finale des pourparlers », rétorque Philipe Lamberts, coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. « Sur la question centrale de l’Irlande, les options sont très limitées et Theresa May le sait depuis le début », ajoute-t-il. Soit elle accepte le maintien de fait de l’Irlande du Nord dans le Marché unique européen – évitant ainsi la restauration d’une frontière entre les deux Irlandes mais impliquant l’apparition de fait d’une frontière entre l’île irlandaise et la Grande-Bretagne. Soit elle demande le maintien de l’ensemble du Royaume-Uni dans l’Union douanière, interdisant ainsi à son pays de négocier des accords commerciaux bilatéraux avec des pays tiers.
Theresa May devra aussi préciser rapidement ses objectifs quant aux contours de la future relation commerciale avec l’UE : rester dans le marché unique en acceptant ses règles et obligations ou revoir ses ambitions à la baisse en négociant un accord de libre-échange avec l’UE.
L’heure des choix a donc sonné. Après avoir tergiversé pendant des mois, tiraillée dans son propre camp entre les partisans d’un ‘hard’ ou ‘soft’ Brexit, la Première ministre britannique va maintenant devoir trancher « et dévoiler clairement son jeu si elle attend des concessions de la part des 27 », avertit un négociateur européen.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : France / Royaume Uni : le casse-tête d’un « Brexit dur » vu à travers le projet de Loi d’habilitation