Jamais une élection en France n’aura suscité autant d’intérêt et de commentaires chez nos voisins européens. « Sur onze candidats, huit sont ouvertement eurosceptiques voire carrément europhobes », soulignait, en début de semaine un membre du cabinet de Jean-Claude Juncker, inquiet des conséquences de ce scrutin pour l’avenir de l’Union européenne (UE). Seuls les programmes européens de François Fillon (Les Républicains), Benoît Hamon (Parti socialiste) et Emmanuel Macron (En Marche) restent dès lors susceptibles de « s’inscrire dans une construction à 27 », note cette même source, même si certaines des propositions évoquées provoquent parfois des sueurs froides à Bruxelles.
Libre-échange : divergences sur les principes et les modalités
Au sein de la direction générale Commerce à la Commission européenne, les deux candidats de la droite et du centre sont jugés les plus favorables à la poursuite des politiques européennes engagées dans le secteur. Alors que Benoît Hamon, qui a fait le vœu d’une Europe moins libre-échangiste, a promis de bloquer la ratification du CETA, l’accord de libre-échange conclu avec le Canada, François Fillon et Emmanuel Macron soutiennent sa mise en œuvre. L’un comme l’autre proposent néanmoins de revoir les critères à la base de ces négociations internationales.
Pour le candidat LR, la France devra s’opposer à tout nouvel accord allant à l’encontre des intérêts européens comme le projet de traité de libre-échange transatlantique (TTIP ou TAFTA) ou l’octroi du statut d’économie de marché (SEM) à la Chine. Afin de mieux protéger les intérêts économiques et commerciaux de l’UE, François Fillon propose l’adoption de nouvelles règles de réciprocité en matière d’accès aux marchés publics ou sur les normes environnementales et sociales des produits importés qui pénalisent aujourd’hui les entreprises européennes.
Sur la même ligne, Emmanuel Macron prône lui aussi une concurrence mondiale plus équitable via le renforcement des instruments anti-dumping de l’UE, qu’il veut plus « dissuasifs et plus réactifs ». A l’instar, cette fois, de Benoît Hamon, il est également favorable à la mise en œuvre d’un Buy European Act afin de réserver l’accès aux marchés publics aux entreprises qui localisent au moins la moitié de leur production en Europe.
Emmanuel Macron propose enfin l’adoption de deux nouvelles mesures : la création d’un instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe, visant à préserver les intérêts européens et ses secteurs stratégiques ; et la mise en place d’un procureur commercial européen afin de « vérifier le respect des engagements pris par nos partenaires et sanctionner rapidement leur violation ».
Travailleurs détachés : consensus pour une révision, divergences sur les modalités
Autre problématique scrutée à la loupe par les responsables à Bruxelles : le sort réservé à la directive sur les travailleurs détachés, texte adopté en 1996 mais que la France et d’autres pays européens souhaitent totalement revoir. Alors que la majorité des candidats à la présidentielle préconisent son abrogation pure et simple, Benoît Hamon, François Fillon et Emmanuel Macron sont favorables à sa révision même si des divergences apparaissent quant aux modalités de la réforme envisagée.
Le candidat LR propose une renégociation de fond en comble du texte européen et la suspension de son application, en France, si les discussions n’ont pas abouti fin 2017.
Opposé à « la concurrence entre les peuples », Benoît Hamon préconise lui aussi la révision de la directive avec la création, en parallèle, d’un socle européen des droits sociaux comprenant, notamment, la mise en place d’un SMIC au sein de l’UE.
« Le problème, c’est le travail détaché illégal », a indiqué Emmanuel Macron qui propose, à l’instar du candidat socialiste, de réformer la directive par une harmonisation sociale. Il souhaite également limiter à un an la durée autorisée de séjour d’un travailleur détaché en France et redéfinir, au niveau européen, les règles du détachement pour mettre fin à toutes les formes de concurrence sociale déloyale.
Fiscalité : divergences sur le curseur de l’harmonisation
En matière de fiscalité, les trois candidats « pro-européens » se sont engagés à lutter contre les pratiques d’évitement fiscal des multinationales. Ils s’alignent aussi sur la position traditionnellement défendue par la France à Bruxelles visant à promouvoir une plus grande harmonisation fiscale au sein de l’Eurozone. Mais une fois encore, les modalités et leurs priorités divergent.
Pour Benoît Hamon cette évolution devra s’accompagner d’une plus grande convergence sociale et de la mutualisation d’une partie des dettes souveraines des membres de la zone euro. Favorable à l’adoption d’un « agenda européen de l’harmonisation fiscale », François Fillon mise, quant à lui, sur la force d’entraînement du couple franco-allemand, qui devra d’abord s’accorder sur une initiative commune relative à la fiscalité des entreprises. Pour favoriser ce mouvement, le candidat LR estime, en outre, que la France devra réduire les taux imposés à ses propres entreprises.
Même proposition dans le camp de Macron, qui suggère de ramener à 25 % l’impôt français sur les sociétés afin d’atteindre la moyenne européenne. Le candidat EM promet aussi de défendre une harmonisation des bases et des taux d’impôt sur les entreprises pour éviter une concurrence entre les États membres.
Défense, énergie, numérique : niveau de priorité différent
La création d’une Europe de la défense – priorité affichée par la France, en particulier depuis la vote britannique en faveur du Brexit – figure également au programme des trois candidats. Objectif ? Renforcer la sécurité des citoyens européens en favorisant la mutualisation des financements dans le secteur.
Benoît Hamon et François Fillon soutiennent également la création d’une Europe de l’énergie. Pour le candidat socialiste elle devrait permettre de donner un nouveau souffle au projet européen en assurant une plus grande indépendance du bloc et sa ré-industrialisation. Pour le candidat LR, ce projet commun pourra se concrétiser grâce à une stratégie nucléaire modernisée alliée au développement des énergies alternatives.
François Fillon place également le développement du numérique au cœur de son programme européen. Une fois encore, il estime que la France et l’Allemagne devront servir de moteur à la mise en place d’une politique commune dans le secteur. Il propose notamment de créer un écosystème franco-allemand puis européen du financement de l’innovation et de « porter, avec l’Allemagne, l’ambition de plateformes numériques industrielles et sectorielles européennes ».
Emmanuel Macron privilégie quant à lui des mesures visant à soutenir la croissance des startups européennes du numérique. Il propose dans son programme la création d’un Fonds européen de financement en capital-risque, doté de 5 milliards d’euros, pour accompagner leur développement.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles