Si à Bruxelles « le débat est loin d’être tranché »*, veut-on croire dans les coulisses de la Commission européenne, Pékin – qui espère obtenir d’ici à la fin 2016 le statut d’économie de marché à l’OMC – pourrait bénéficier d’un soutien de taille au sein de l’Union européenne (UE). Lors d’une visite officielle en Chine, fin octobre, Angela Merkel a déclaré que l’Allemagne était favorable « en principe » à l’octroi de ce statut à la Chine « même si d’importants progrès restent à réaliser notamment dans la sphère des marchés publics ».
C’est la première fois que Berlin sort de sa réserve sur cette épineuse question qui continue à diviser au sein du bloc européen. Jusqu’ici, le gouvernement allemand avait toujours indiqué qu’il attendait le verdict légal de la Commission européenne à Bruxelles avant de se prononcer. Même attitude dans les autres capitales européennes, où l’on préférait jusqu’à présent insister sur l’aspect « technique » de la décision et éviter ainsi de froisser les responsables chinois. A Londres, par exemple, George Osborne, le ministre britannique des Finances, serait lui aussi favorable à l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine. « Mais cette décision essentiellement juridique est du ressort de l’UE et le processus sera long et complexe », aurait-il confié à l’un de ses proches cité par le Financial Times.
A ce stade, seule l’Italie a publiquement affiché sa réticence à l’attribution d’un tel statut à la Chine. Lors d’un déplacement à Bruxelles en octobre dernier, Carlo Calenda, vice-ministre italien en charge du Commerce international, a averti ses homologues sur les conséquences d’une telle décision pour l’économie de l’UE. « La Chine n’est pas une économie de marché et ne remplit pas les conditions », avait-il alors déclaré.
La Commission étudierait la possibilité d’accorder unilatéralement à Pékin ce statut
Au delà des considérations juridiques, le débat est évidemment d’ordre politique. La Commission européenne étudierait la possibilité d’accorder unilatéralement à Pékin le statut d’économie de marché, dans l’objectif, principalement, de débloquer les négociations en cours sur l’Accord d’investissement UE/Chine. De quoi inquiéter les opposant à cette éventualité.
« Une telle décision, motivée par la pression des lobbies, de certains Etats membres et de la Chine elle-même, serait une grave erreur historique », écrivent deux eurodéputés socialistes, Edouard Martin et Emmanuel Maurel, dans une tribune publié le 30 octobre par lequotidien économique français Les Echos. Subventions publiques, contrôle des exportations et des importations, dumping pratiqué par certaines industries, notamment dans le secteur de l’acier… Autant de facteurs objectifs qui, selon eux, devront être pris en compte dans la décision finale. Sur les cinq critères dont la Commission a recours pour évaluer le statut de marché d’une économie, « la Chine n’en remplit qu’un », affirment les deux élus européens.
Ils ne sont pas les seuls, loin de là, à défendre cette position. En septembre dernier, AEGIS Europe, une association regroupant 30 fédérations industrielles -souvent de secteurs menacés par les produits low cost chinois-, présentait un rapport selon lequel 3,5 millions d’emplois à travers toute l’Europe pourraient être menacés en cas de décision favorable à la Chine. L’organisation prévoit également un déficit commercial record de l’UE avec ce pays qui pourrait atteindre 180 milliards d’euros cette année et ce « malgré des mesures antidumping imposés sur une cinquantaine de produits chinois allant des bicyclettes aux panneaux solaires en passant par différentes gammes d’acier », indique Milan Nietzsche, le porte-parole d’AEGIS Europe, et vice-président de l’entreprise allemande SolarWorld. Interrogé sur les déclarations d’Angela Merkel en Chine, il tempère : « elle a bien insisté sur le fait que la Chine devait encore réaliser d’importants progrès avant de devenir une économie de marché ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles