Le ‘JEFTA’ (Japan-EU Free Trade Agreement), l’accord de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne (UE) et le Japon, connaîtra-t-il les mêmes déboires que le CETA, le pacte commercial scellé avec le Canada? Le fait est que, peu médiatisé depuis le lancement des pourparlers en 2013, l’accord commence à intéresser les associations civiles et de défense de l’environnement.
« En terme de transparence, la Commission commet les mêmes erreurs. Comme si elle n’avait rien appris de l’expérience du TTIP et du CETA », estime le réseau d’ONG S2B, dans un communiqué. Même son de cloche au sein de Powershift, une organisation très critique vis-à-vis de la mondialisation. « Le JEFTA arbore tous les traits négatifs des autres accords déjà négociés par l’UE », déplorent ses responsables.
Des inquiétudes exacerbées par le fait que le Japon compte près de quatre fois plus d’habitants que le Canada et que l’accord, sur le point d’être conclu politiquement avec Tokyo, couvrirait près d’un tiers des activités commerciales au monde. Autre crainte des militants : le volet consacré à la protection des investissements qui risque de ressusciter la querelle sur le système de règlement des différends entre États et investisseurs, apparue lors des pourparlers de libre-échange désormais gelée avec les États-Unis. Le Japon serait en effet favorable au système d’arbitrage privé ISDS, également défendu par Washington, alors que l’UE met en avant un système juridictionnel.
D’autres critiques ont plus récemment été relayées par Greenpeace qui a réussi, au début de cette semaine, à se procurer le texte de 205 pages résumant la position des deux camps. Si cette ONG s’inquiète elle aussi d’un déficit récurent en terme de transparence, elle dénonce en outre un accord non conforme aux engagements environnementaux et climatiques de l’UE. « Pour délivrer des accords commerciaux qui bénéficient à la société et à la nature, l’UE doit respecter ses propres valeurs et principes, et non les sacrifier au nom d’une poignée de multinationales », estime Kees Kode, de Greenpeace. « Le commerce ne doit pas être un but en soi, mais un moyen d’arriver à un équilibre social et écologique qui nous permet de vivre selon les ressources de notre planète », indique-t-il dans un communiqué.
« Une tempête dans un verre d’eau » ?
Une déclaration qui a provoqué une réaction immédiate au sein de l’exécutif à Bruxelles. Estimant que l’ONG est opposée à toute forme de pacte commercial, quel qu’il soit, la commissaire au Commerce a dénoncé une campagne qu’elle assimile à « une tempête dans un verre d’eau ». Pour Cecilia Malmström, les inquiétudes exprimées sont sans fondement solide et elle rappelle « que les normes sociales et écologiques, ainsi que la protection des consommateurs, ne sont pas négociables », elles seront donc bien incluses dans le JEFTA comme elles le furent dans le CETA.
Contrairement aux accusations formulées par Greenpeace, la libérale suédoise estime en outre que l’accord en négociation constitue une « excellente occasion » de promouvoir l’accord de Paris. « Et je défie Greenpeace de trouver un autre accord de libre-échange dans le monde entier, à part celui que nous avons négocié avec le Canada, qui en fasse autant », a-t-elle martelé. Assurant également que le pacte inclurait la question de la déforestation illégale, elle souligne néanmoins que la chasse à la baleine – questions soulevés par l’ONG environnementale – est un sujet sérieux mais qui n’a rien à voir avec la Commerce. Il pourrait donc être abordé à d’autres occasions, peut-être dans le contexte d’un forum bilatéral qui sera mis en place dans le cadre de l’accord, a encore indiqué Cecilia Malmström.
Mais l’intérêt nouveau des opposants au libre-échange pour ces pourparlers menés avec le Japon inquiète les responsables à Bruxelles, alors que les négociateurs japonais et européens sont réunis cette semaine à Tokyo pour une session de discussions jugées cruciales – les deux blocs espérant conclure un accord politique dès la semaine prochaine. Objectif : parvenir à s’accorder sur 90 % du texte à l’issue de ce round de pourparlers. Les 10 % restants, qui comprennent les principaux sujets de blocage, tel que la protection des investissements, pourront être finalisés « après la conclusion d’un accord global entre chefs d’État », précise un collaborateur de la commissaire au Commerce.
Selon ce dernier, la Commission souhaite à tout prix respecter cette nouvelle échéance afin « d’envoyer un signal positif à nos partenaires », et démontrer que l’UE mène désormais la danse pour promouvoir le libre-échange sur la scène mondiale.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles