Mettre en place un cadre européen pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l’Union européenne (UE), c’est une première, peut être un tournant doctrinal. Présentée à Bruxelles le 14 septembre, cette proposition reflète les nouvelles orientations de la politique commerciale menée par la Commission Juncker. « Nous ne sommes pas des partisans naïfs du libre-échange. L’Europe doit toujours défendre ses intérêts stratégiques », soulignait la veille, le président de l’exécutif, lors de son discours sur l’état de l’Union prononcé le 13 septembre dernier lors de la plénière du Parlement européen (PE) à Strasbourg. « Si une entreprise publique étrangère veut acheter un port européen, une partie de notre infrastructure énergétique ou une entreprise de technologie de défense, cela doit se faire dans la transparence, moyennant contrôles et discussions. Il est de notre responsabilité politique de savoir ce qui se passe chez nous afin que nous puissions protéger notre sécurité collective si besoin est », a-t-il ensuite précisé.
La Commission deviendra une sorte de tour de contrôle
Le règlement proposé par Bruxelles envisage la mise en place d’un nouveau cadre pour filtrer les investissements étrangers en fonction de critères basés sur la transparence et la réciprocité. Le texte prévoit aussi d’améliorer le partage d’informations entre les Vingt-sept. Si un État membre, par exemple, analyse l’opportunité d’un IDE sur son sol, il pourra demander rapidement l’avis de ses partenaires européens, en particulier si la sécurité et l’ordre publique risquent d’être menacés.
La Commission pourra elle aussi intervenir pour contrôler les acquisitions et monter au créneau dans les cas où ceux-ci peuvent affecter des projets et programmes de financements européens dans les secteurs de la recherche (Horizon 2020), de l’espace (Galileo), ou les réseaux trans-européens de transport, de l’énergie et des télécommunications.
« Le nouveau cadre de filtrage des investissements au niveau de l’UE (…) s’appuiera sur les mécanismes d’examen nationaux déjà en place dans douze États membres et n’affectera pas la possibilité, pour les pays de l’UE, d’adopter de nouveaux mécanismes d’examen ou de continuer à s’en passer », précise un communiqué de l’exécutif. Autrement dit, la souveraineté des États ne sera pas remise en cause par le nouveau cadre européen. Contrairement à ses compétences en matière de concurrence, la Commission n’aura en effet aucun pouvoir de veto. Elle deviendra une sorte de tour de contrôle, un simple outil consultatif à la disposition des États face à des investissements étrangers jugés suspects voire dangereux.
Un changement de doctrine
L’idée n’est pas révolutionnaire loin de là, mais elle témoigne d’un changement de doctrine à Bruxelles. Après avoir bataillé pendant des décennies pour faire de l’UE une terre d’accueil des IDE, la Commission propose désormais de mieux les contrôler et d’autoriser, si besoin, leur blocage par un ou plusieurs pays membres.
L’initiative de Bruxelles a immédiatement reçu l’approbation de Paris, Rome et Berlin. A la mi-février, les trois capitales avaient déjà fait des propositions en ce sens pour initier le débat à l’échelle européenne. « L’UE doit être capable de se dresser pour protéger ses intérêts, en particulier lorsque la concurrence n’est pas loyale et lorsqu’il s’agit d’intérêts nationaux stratégiques », a réagi Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie et des finances. « A l’avenir, les États Membres auront la capacité d’intervenir en cas d’investissement direct dans des entreprises européennes par des entreprises contrôlées par d’autres États », s’est également félicitée Brigitte Zypries, son homologue allemande.
Et si elle n’est jamais directement nommée, c’est bien évidemment la Chine qui est la première visée par ces mesures. Car l’UE, qui a toujours été ouverte aux investissements chinois, dénonce un manque flagrant de réciprocité. Depuis plusieurs années, les entreprises européennes militent d’ailleurs pour que Pékin abolissent les restrictions et obstacles réglementaires qui entravent les investissements étrangers sur son territoire. Dans son rapport annuel publié mardi 19 septembre, la Chambre de commerce de l’UE en Chine détaille une fois encore les barrières en tous genres et les incertitudes qui continuent de décourager l’investissement dans la deuxième économie mondiale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les investissements chinois en Europe se sont envolés de 77 % l’an dernier, tandis que les investissements de l’UE en Chine s’effondraient de 25 %.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui :
–UE / Export : ce qu’il faut savoir de la nouvelle stratégie industrielle européenne
-UE / Commerce extérieur : les échanges augmentent, mais l’excédent recule