Le 11 décembre 2018, le Parlement européen a adopté le compromis trouvé entre les États membres en matière de filtrage des investissements étrangers dans l’Union européenne (UE). Le Conseil européen devrait, à son tour, adopter le texte en mars 209, ce qui permettrait d’envisager sa mise en vigueur fin avril-début mai.
La commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström s’est félicitée de la mise en place d’un cadre « qui protégera nos actifs, technologies et infrastructures critiques de risques potentiels pour la sécurité liés aux investisseurs étrangers, tout en maintenant l’Europe ouverte au monde des affaires ».
Se protéger, une prise de conscience progressive
Le cheminement de ce dispositif est la preuve d’un changement de perception chez les Vingt-huit, où l’accueil des investissements extérieurs y a toujours été considéré comme relevant de la souveraineté nationale. A cette raison, s’ajoutait le fait que la moitié d’entre eux, généralement les plus grands, disposaient déjà de leurs propres mécanismes nationaux de filtrage.
Le basculement des États membres est intervenu après le rachat fin 2016 du fabricant allemand de machines-outils Aixtron par un investisseur chinois. « Les États membres, explique-t-on à Bruxelles, ont fait part de leur préoccupation croissante de protéger leur économie » et, au premier trimestre 2017, la France, l’Allemagne et l’Italie ont poussé conjointement dans le sens d’un mécanisme européen.
La Commission européenne a déposé une proposition de règlement en septembre de la même année, fixant un cadre de coopération et d’échange d’informations avec les Vingt-Huit sur les investissements de pays tiers susceptibles d’affecter la sécurité ou l’ordre public (sécurité d’approvisionnement, contrôle des infrastructures et technologies critiques, protection d’informations sensibles).
Les États filtrent, la Commission européenne donne un avis
Le dispositif prévoit que les États membres pourront formuler des observations dont l’État décisionnaire tiendra « dument compte ». Enfin s’agissant d’une liste de programmes européens (Galileo, Copernicus, Horizon 2020, les réseaux trans-européens de transport, d’énergie et de télécommunications), la Commission examinera les investissements susceptibles de porter atteinte à l’UE, puis formulera un avis que l’État membre concerné pourra ne pas suivre à condition de justifier sa décision.
Ce dernier point est essentiel, car il signifie que programme européen ou pas, les capitales européennes conservent la main. En fait, la Commission européenne désirait filtrer elle-même les investissements, mais les États s’y sont opposés, voulant conserver cette prérogative.
Une liste indicative de secteurs stratégiques
En dehors des programmes européens, pour aider les pays membres, la Commission européenne a établi une liste indicative de secteurs à surveiller plus particulièrement parce qu’ils sont jugés sensibles*. Ainsi, les États « peuvent examiner » les effets potentiels d’un investissement, « notamment » dans les infrastructures, les technologies, le stockage d’énergie (batteries) ou encore la sécurité alimentaire (achat de terres dans l’UE, par exemple).
De façon concrète, le mécanisme fonctionnera de la façon suivante :
– Un pays notifie à la Commission européenne et aux autres États membres l’investissement devant faire l’objet d’un filtrage, en leur transmettant un certain nombre d’informations obligatoires : structure de l’investisseur, valeur approximative de l’investissement, produits, services et opérations de l’investisseur et de sa cible, pays d’intervention de l’investisseur et de sa cible, origine de l’investissement.
– Si toutes ces informations n’ont pu être produites, le pays doit alors le justifier. Par ailleurs, il est toujours possible à l’exécutif européen et aux autres autres gouvernements nationaux de demander des informations supplémentaires, mais c’est facultatif. A partir du moment où les renseignements sont reçus, le délai pour commentaires, avis et examen du filtrage peut varier entre 15, 30, voire 35 jours.
Enfin, pour que les États membres puissent se préparer au nouveau mécanisme de filtrage, une période de transition de 18 mois est prévue à partir de la mise en vigueur du règlement. Certains États vont, par exemple, devoir modifier leurs mécanismes nationaux. Certains gouvernements, de l’autre côté, devront obtenir l’accord des Parlements.
Après cette période de transition, une phase d’évaluation de trois ans sera lancée. Ce qui signifie que le système pourrait être révisé s’il ne donne pas satisfaction.
De notre envoyé spécial à Bruxelles
François Pargny
*Voici la liste indicative des secteurs, repris dans la proposition de règlement de la Commission européenne :
a) infrastructure critique, physique ou virtuelle, y compris énergie, transport, eau, santé, communications, médias, traitement de données ou stockage, aérospatiale, infrastructures de défense, électorales ou financières, ainsi que des infrastructures et des les investissements fonciers et immobiliers indispensables à l’utilisation de telles infrastructures ;
b) technologies critiques et biens à double usage, comprenant l’intelligence artificielle, la robotique, les semi-conducteurs, l’aéronautique, la défense, le stockage d’énergie, le nucléaire, les technologies, nanotechnologies et biotechnologies ;
(c) fourniture d’intrants essentiels, y compris d’énergie, de matières premières et de denrées alimentaires ;
d) accès à des informations sensibles, y compris des données à caractère personnel, ou capacité de contrôle ces informations ;
e) liberté et pluralisme des médias.