Cet article a fait l’objet d’une Alerte diffusée dès le 22 mai aux abonnés de la Lettre confidentielle.
Pour la première fois, Jean-Yves Le Drian, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, fait, aujourd’hui 22 mai, le voyage jusqu’à Bruxelles pour assister à un Conseil » Affaires étrangères » – Commerce de l’Union européenne (UE). Un déplacement qui se justifie par l’enjeu politique particulièrement important que représente cette réunion : ce conseil spécialisé de l’UE, auquel participe également, côté allemand, le ministre de l’Économie et de l’énergie, Peter Altmaier, va se concentrer sur les suites à donner à la décision, le 8 mars, de Donald Trump d’imposer des taxes douanières sur les importations américaines d’acier (25 %) et d’aluminium (10 %). Le chef de la Maison Blanche avait, ensuite, accepté d’accorder une exemption à l’UE jusqu’au 31 mai, une échéance désormais proche.
Commet éviter une guerre commerciale
Avant le report américain de ses sanctions contre l’UE, les Européens avaient menacé de répliquer avec des taxes sur des produits américains et d’introduire une plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour autant, « on se refuse à une escalade » et c’est pourquoi « si les Européens sont stricts sur les principes, on est aussi prêt à présenter aux Américains des incitations. Mais, en aucun cas, nous ne leur donnerons des concessions unilatérales », qui feraient que « des alliés deviennent tributaires », explique-t-on dans l’entourage de Jean-Yves Le Drian.
Quels seraient les principes. Ce sont ceux de l’OMC, et donc du respect des règles internationales. Mais aussi de ses alliés. Or, Bruxelles reproche à Washington de frapper les pays tiers comme ses alliés, en l’occurrence les Européens. Le sentiment général a été clairement exprimé à Sofia, lors du Sommet européen informel des 16 et 17 mai, par le président du Conseil européen, Donald Tusk, qui avait lâché à propos des États-Unis : « on pourrait même se dire qu’avec de tels amis, pas besoin d’ennemis ».
Les incitations évoqués plus haut seraient de trois ordres :
1/ Oui, à la coopération avec les États-Unis pour réformer l’OMC. A Paris, on rappelle qu’un travail tripartite, incluant le Japon, est mené depuis plusieurs mois sur ce sujet. Différents thèmes sont abordés, comme l’Organe de règlement des différents (ORD), à l’heure actuelle bloqué par Washington qui refuse de remplacer les juges en fin de mandat, mais aussi des sujets d’intérêt commun qui visent la Chine, à savoir les surcapacités de l’ex-Empire du Milieu, sa politique de subventions, d’aides d’État et le non respect de la propriété intellectuelle.
2/ Les Européens ont indiqué qu’ils étaient prêts à importer plus de gaz américain. C’est un sujet qui intéresse plus particulièrement l’Allemagne, qui pourrait produire ainsi du gaz naturel liquéfié (GNL).
3/ Les Européens sont prêts à améliorer l’accès au marché de l’Union, principale demande des États-Unis, mais sur une base réciproque, et en matière réglementaire. Conformément aux règles de l’OMC, il n’est pas possible de baisser les droits de douane au profit d’un pays, sans accorder les mêmes avantages aux autres membres de l’organisation. Par ailleurs, diminuer les tarifs avec les États-Unis reviendrait à réduire à zéro les avantages obtenus par le Japon, dans le cadre de l’accord de libre échange signé entre Bruxelles et Tokyo*.
Sur quoi pourrait porter alors une négociation avec les États-Unis ? Plusieurs dossiers en instance. Bruxelles demande, par exemple, un meilleur accès aux marchés publics ou la fin des pics tarifaires dans le textile. Washington souhaiterait que certains obstacles règlementaires soient levés dans l’industrie, notamment qu’on aboutisse à une reconnaissance mutuelle dans les modes de fabrication des produits pharmaceutiques ou sur les standards en matière de sécurité automobile touchant les airbags ou les ceintures de sécurité.
La réponse européenne en cas de sanctions unilatérales
Dans l’entourage de Jean-Yves Le Drian, on assure que « personne n’est pour l’escalade ». Et surtout pas l’Allemagne, qui serait la plus exposée en ayant comme particularité d’être la seule nation au monde à disposer d’un excédent commercial à la fois avec les États-Unis, la Chine et ses partenaires de l’UE. Pour autant, rien n’est négligé.
Quelle serait la réponse européenne en cas de sanctions unilatérales de Washington au 31 mai ? Elle serait double :
1/ Appliquer des mesures de sauvegarde pour protéger le marché européen, en cas de réorientation des surcapacités chinoises d’aluminium et d’acier vers l’espace communautaire. A cet égard, Washington reconnaît le droit des Européens.
2/ Répliquer à l’attaque américaine. Mais, à Paris, on insiste sur le fait qu’il faut « bien calibrer » la riposte en fonction des dégâts à venir « pour ne pas donner aux Américains un prétexte à l’escalade ». De source gouvernementale, on affirme que l’on est pour « un rééquilibrage ». C’est en cela que serait importante la liste des 332 produits américains (du bourbon aux motos) visés par une éventuelle augmentation de droits de douane en Europe qui avait été notifiée à l’OMC par l’Union européenne, après la première annonce par Donald Trump, le 8 mars, d’une menace d’augmentation de taxes sur l’acier et l’aluminium.
Comme il est difficile d’anticiper les dégâts que provoquerait l’application des tarifs douaniers sur l’économie européenne, cette liste multi-sectorielle, appelée « moto-Bourbon », ne serait pas fixe. Elle serait d’autant plus facile à adapter que les taxes imposées par l’UE le seraient pour certaines dès l’été et pour d’autres dans trois ans.
Washington s’entendrait avec Pékin
« On n’est pas foncièrement optimiste », ne cache-t-on pas de source gouvernementale, à Paris. Depuis la décision de Donald Trump du 8 mars, les motifs de crispation ou d’inquiétude se sont accumulés, comme le retrait des États-Unis de l’accord de démantèlement nucléaire iranien et l’activation des lois d’extraterritorialité qui vont fortement frapper le secteur privé européen**.
Le 19 mai, Washington et Pékin ont annoncé avoir trouvé un accord, même s’il est encore flou, selon lequel la Chine accepterait de réduire fortement son excédent commercial avec les États-Unis, suspendant ainsi leur querelle commerciale. Une nouvelle qui n’est pas forcément bon signe pour l’UE, qui risque de se retrouver prise entre l’enclume et le marteau, c’est-à dire la Chine et les États-Unis. Les Américains s’entendraient-ils avec les Chinois sur le dos des Européens ? A suivre…
François Pargny
* UE / Libre-échange : Bruxelles transforme l’essai avec Singapour, le Japon et le Mexique
** Iran : la France veut renforcer l’arsenal de défense commerciale de l’UE contre les États-Unis
et UE / Iran : quels scénarios pour défendre les intérêts européens face à Washington ?
Pour prolonger :
États-Unis / UE : l’administration Trump joue les prolongations sur l’acier et l’aluminium