Le projet de traité pour le Partenariat transatlantique ( TTIP / Transatlantic Trade and Investment Partnership ou TAFTA) bat de l’aile. Mais Bruxelles veut maintenir le cap. « Les négociations continuent », martèle-t-on à la Commission européenne. Fort du soutien récent de douze États membres (l’Italie, l’Espagne, le Portugal, le Danemark, la Finlande, la Suède, la Grande-Bretagne, l’Irlande, la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie), l’encourageant à poursuivre les pourparlers, l’exécutif européen a même annoncé, jeudi 15 septembre, la date du prochain round de discussions, programmé la semaine du 3 octobre à New York. D’ici là, les 28 ministres du Commerce devaient se retrouver à Bratislava, aujourd’hui 23 septembre, pour faire notamment le point sur les négociations en cours.
Si lors du sommet de juin, à Bruxelles, aucun des chefs d’États et de gouvernement ne s’étaient opposés à la poursuite des pourparlers, la France a cette fois annoncé qu’elle demanderait officiellement l’arrêt des discussions jugées « opaques » et « déséquilibrées » en faveur de Washington. Matthias Fekl, le secrétaire d’État au Commerce extérieur, devrait également remettre en cause le mandat octroyé à la Commission européenne lui permettant de négocier avec Washington au nom des 28. « Je regrette que l’UE ne fasse pas sur le TTIP ce qu’elle a fait en Irlande avec Apple : qu’elle s’affirme plus fortement dans la mondialisation. La décision « Apple », même si ce n’est pas fini, c’est cela la nouvelle Europe que tout le monde attend », a-t-il commenté. Une prise de position qui restera néanmoins symbolique, l’unanimité au sein de l’UE étant requise pour modifier l’agenda et mettre définitivement fin aux pourparlers.
Aucun des 27 chapitres en discussion n’a à ce jour été bouclé
Mais la poursuite du processus ne garantit pas pour autant la conclusion prochaine d’un accord de libre-échange transatlantique. Même si Barack Obama répète vouloir trouver un accord d’ici à janvier 2017, dans les faits, et malgré quatorze cycles de négociation déjà passés, aucun des 27 chapitres en discussion n’a à ce jour été bouclé.
Sur le volet des marchés publics, principal intérêt offensif des Européens, les progrès enregistrés après trois ans de négociations sont quasi inexistants. « Les Américains ne veulent pas ouvrir le dossier », assure Matthias Fekl. Et le soutien de nombreux pays européens – dont ceux du Nord, traditionnellement libéraux, ou encore les pays de l’Est qui souhaitent se rapprocher des États-Unis pour des motifs géopolitiques – ne suffira pas non plus à lever les réticences dans d’autres capitales de l’UE.
Car la France n’est pas le seul État membre, loin de là, à mettre en cause les chances de survie du projet pacte commercial. En Allemagne, le vice-chancelier et ministre social-démocrate de l’Économie Sigmar Gabriel ne dit pas autre chose, jugeant fin août que « les négociations ont, de facto, échoué ». Même son de cloche en Belgique où le Premier ministre Charles Michel a récemment fait part de son scepticisme dans un entretien accordé le 3 septembre : « Ce traité peut représenter de la croissance et de l’emploi pour l’Europe, à la condition qu’il soit équilibré. Ce qui est sur la table ne semble pas l’être. Donc, pour le moment, je préfère dire que ça ne va pas et qu’on reprendra peut-être les négociations plus tard ».
« Ils ont très largement gagné le débat »
Autant de déclarations qui font écho à l’hostilité croissante de l’opinion publique européenne, de plus en plus mobilisée contre le TTIP ou son équivalent avec le Canada, le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, en français Accord économique et commercial global / AECG), dont la mise en œuvre n’a cessé d’être retardée*. Le week-end passé, plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans les principales villes allemandes contre ces accords commerciaux. Ils étaient près de 10 000 ce mardi 20 septembre à porter le même message dans le quartier européen à Bruxelles. Pour les organisateurs, la « victoire citoyenne » est désormais à portée de main.
Un constat parfois partagé au sein même de la Commission européenne. « Ils ont très largement gagné le débat », reconnaissait, dépité, un responsable au sein de l’exécutif observant la foule des manifestants massée autour du Rond point Schumann, le centre névralgique des institutions communautaires. Face à cette mobilisation sans précédent – aucun accord commercial négocié par l’UE n’avait généré un tel intérêt de la part des citoyens – les défenseurs du TTIP eux aussi affûtent leurs armes.
En tête de file de ce cortège de lobbyistes? Les représentants de Business Europe, l’organisation patronale européenne dont le QG est situé à une centaine de mètres de là. Depuis début septembre ils multiplient les pressions en coulisses et les campagnes de communication, notamment sur Internet. Dans un clip diffusé le 14 septembre sur YouTube, l’association vante, par exemple, les mérites d’un futur accord transatlantique et ses retombées positives en termes d’emploi. « Le TTIP est trop important pour échouer, plaide sa présidente Emma Marcegaglia. Nous avons besoin de renforcer la croissance et les emplois en Europe et le TTIP est l’un des meilleurs moyens pour y arriver ».
Mercredi 21 septembre, au lendemain de la manifestation, Markus Beyrer, le directeur général de Business Europe, convoquait les médias européens pour contrecarrer à son tour les « contre-vérités » véhiculées, selon lui, par la coalition anti-TTIP. Au cœur de son message : le commerce est le moteur clé de la relance économique. « Face à la montée du protectionnisme mondial, le TTIP et le CETA permettront de lever les freins qui brident aujourd’hui l’investissement et l’innovation », a-t-il rappelé.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*UE / Canada : il faut sauver le soldat CETA !
Pour prolonger :
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