Alors qu’elle a fait de la transparence un élément central de sa stratégie commerciale (voir la Lettre confidentielle d’aujourd’hui**), Cecilia Malmström est à nouveau confrontée à des révélations embarrassantes quant au déroulement des négociations de libre-échange en cours avec les États-Unis sur le Partenariat transatlantique (TTIP/Transatlantic Trade and Investment Partnership).
Selon le quotidien britannique The Guardian, la Commission européenne aurait fourni, dès septembre 2013, des informations confidentielles sur l’avancée des pourparlers à deux groupes commerciaux et à 11 compagnies pétrolières et gazières, dont Shell, BP et ExxonMobil. Le rythme et l’ampleur des réunions avec les représentants du secteur des énergies fossiles se seraient, en outre, intensifiés en 2014, au fur et à mesure de la progression des négociations. Selon un compte rendu obtenu par le quotidien britannique, l’exécutif européen demandait, notamment à Europia -l’association de l’industrie pétrolière européenne, re-baptisée depuis Fuels Europe – son « soutien et sa contribution » à l’élaboration d’un chapitre dédié à l’énergie et aux matières premières.
« Nous devons tenir compte de l’avis des experts » concernés par certains aspects des discussions, s’est défendu un porte-parole à Bruxelles. Même son de cloche du côté des lobbys industriels. « Afin de naviguer dans ce secteur compliqué, l’UE a besoin d’être très bien informée et l’expertise se trouve dans l’industrie », s’est justifié John Cooper, le directeur de Fuels Europe, interrogé par The Guardian.
Les Européens veulent consacrer à l’énergie et aux matières premières un chapitre à part entière
Ces révélations paraissent vraisemblables compte tenu des priorités affichées par l’UE dans le cadre de ces négociations transatlantiques. Depuis le lancement des discussions, les Européens militent en effet pour consacrer à l’énergie et aux matières premières un chapitre à part entière. A l’heure actuelle, ces questions sont compilées sous le chapeau générique des « règles sur le commerce » (réglementation des subventions publiques et des aides d’État, concurrence versus monopoles…) faute de volonté américaine de les traiter de façon différenciée.
Pour plusieurs États membres, comme la Pologne, la Lituanie ou la République tchèque, la création d’un chapitre dédié reste néanmoins une demande phare. Motif ? Il viserait, une fois le TTIP conclu, à libéraliser les exportations de pétrole brut et de gaz depuis les États-Unis vers l’Europe. Rappelons que pendant 40 ans, Washington a strictement interdit les exportations de combustibles fossiles. Une politique qui a été assouplie pour la première fois cet été en faveur du Mexique. L’UE souhaiterait également en bénéficier afin de réduire, à terme, sa dépendance énergétique vis-à-vis de certains partenaires au premier rang desquels figure évidemment la Russie.
Pour les ONG et associations de la société civile – opposées à la conclusion du TTIP – ces révélations ne sont pas surprenantes et viennent confirmer la priorité donnée par Bruxelles aux intérêts du secteur industriel. « La Commission doit cesser d’agir comme le bras armé du lobby des entreprises », a déclaré John Hilary, directeur de War on Want, organisation désormais très connue pour sa croisade anti-TTIP. Il s’inquiète aussi du degré de censure imposée par les autorités européennes. Dans les documents « fuités », qui ont servi de base à l’enquête réalisée par le quotidien britannique, la majorité des passages concernant le TTIP – notamment – aurait été noircie. « Il s’agit de maintenir confidentielle la tactique de la Commission », explique-t-on au sein de l’institution.
Mais les associations pro-transparence ne sont pas les seules à s’inquiéter du degré de complicité entre la Commission et le secteur des combustibles fossiles. Pour les organisations de défense de l’environnement, la libéralisation du commerce suggérée engendrerait une hausse considérable des émissions. Elle supposerait également des investissements en infrastructure estimée, par l’industrie à 100 milliards de dollars. Une somme qui nécessite « une sécurité juridique du côté commercial », indique un courriel rédigé à l’issue d’une de ces réunions entre les lobbys et des responsables de l’exécutif européen. Selon la Fondation européenne pour les énergies renouvelables, une telle enveloppe permettrait l’installation de « 12,5 millions d’éoliennes dernier cri ». Un rapport qui fait tache alors que se tient à Paris la réunion internationale pour le climat (COP21).
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Lire dans la Lettre confidentielle : OMC, TTIP, libre-échange, Chine… : les sujets brûlants de la politique commerciale européenne