Cet article a fait l’objet d’une Alerte diffusée le 15 janvier aux abonnés de la Lettre confidentielle.
Si les incertitudes sur le « Brexit » restent le dossier brûlant du moment pour les Européens, les nouvelles venues de Washington ne sont pas de bon augure pour l’avenir des relations transatlantiques, qui viennent de subir un nouveau coup dur sur le volet commercial : coup sur coup, en effet, l’Union européenne (UE) doit encaisser un déclassement diplomatique et la découverte d’un agenda caché des négociateurs américains sur le dossier commercial qui fait fi des accords déjà entérinés avec leurs homologues européens. De quoi torpiller la stratégie de négociation adoptée par Bruxelles pour éviter une guerre commerciale ouverte. Retour sur ce début d’année catastrophique pour le climat des relations des deux côtés de l’Atlantique.
Mardi 8 janvier, alors que la commissaire au Commerce, Cecilia Malmström devait rencontrer son homologue américain, Robert Lightziger, pour un nouveau round de négociations à Washington, la nouvelle n’a pas contribué à apaiser les tensions. Le jour même, la Deutsche Welle révélait que la Maison blanche avait, en toute discrétion, rétrogradé le statut de l’UE, faisant passer le bloc de rang d’Etat à celui d’organisation internationale. Quelle signification donner à ce mauvais geste diplomatique ?
Des conséquences encore mal évaluées
Selon le média allemand, les diplomates européens dans la capitale américaine n’ont compris que progressivement ce changement de statut. D’abord étonnés de ne pas être invités à certains événements, leurs doutes ont ensuite été confirmés lors des funérailles officielles du président George Bush, le 5 décembre dernier. David O’Sullivan, l’ambassadeur européen à Washington, a en effet été appelé en dernier (173ème position) alors qu’il aurait dû l’être parmi les 20 ou 30 premiers. Et l’administration Trump n’avait visiblement pas jugé nécessaire de les informer de leur décision, jetant un froid supplémentaire dans des relations déjà tendues…
« Ce que je peux dire à ce stade, c’est que nous comprenons qu’il y a eu des changements récemment dans la liste diplomatique mise en place par le protocole américain. Nous discutons avec l’administration américaine pour voir les implications possibles pour notre représentation à Washington », a précisé Maja Kocijanicic, porte-parole à la Commission.
Si les conséquences pratiques semblent se limiter au domaine protocolaire, le moment choisi pour la révélation était loin d’être idéal pour Cecilia Malmström. La Commissaire suédoise s’était rendue à Washington pour donner un nouveau souffle aux négociations commerciales et tenter de convaincre Donald Trump de ne pas imposer de taxes douanières supplémentaires sur les voitures européennes importées aux Etats-Unis.
L’ouverture du marché agricole en tête des priorités de la Maison Blanche
Et l’affaire ne s’arrête pas là. Le lendemain de son retour à Bruxelles, Cecilia Malmström prend connaissance d’un document, tout juste publié par les équipes de Robert Lightziger. Intitulé « United-States/European Union negotiations : summary of specific negotiations objectives »*, soit en français « Négociations Etats-Unis/Union européenne : résumé des objectifs spécifiques de négociations », ce texte de 14 pages énonce les priorités de l’administration Trump pour la conclusion d’un accord commercial avec l’UE : au premier rang de ces priorités, apparaît « l’accès complet au marché européen pour les produits agricoles américains via la réduction ou l’élimination des barrières tarifaires et non-tarifaires ».
Il s’agit d’un nouveau camouflet pour la commissaire au Commerce qui, 48heures plus tôt, avait martelé, lors d’une conférence de presse à Washington, qu’il n’était pas question d’intégrer la question agricole dans les pourparlers : « nous avons été très clairs sur le sujet. L’UE ne souhaite pas inclure l’agriculture dans le cadre des discussions ». Son homologue américain n’a semble-t-il pas pris au sérieux cette exigence…
Pourtant, c’est une ligne rouge que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, avait lui aussi défendue lors de sa rencontre, en juillet 2018, avec le président américain. Les deux leaders s’étaient alors entendus pour conclure un accord visant à lever les barrières tarifaires et non-tarifaires uniquement pour les biens industriels, en améliorant, notamment, la coopération réglementaire dans plusieurs secteurs clés. Dans la déclaration commune, les produits agricoles ne sont pas mentionnés. Seul figure l’engagement des Européens d’augmenter les importations de soja et de gaz naturel américain…
« Le document publié par le secrétariat au Commerce va bien au delà des objectifs initialement fixés. L’accord devait être limité aux biens industriels, excluant grand nombre de secteurs généralement négociés dans le cadre d’accords de libre-échange complets », confirme un proche collaborateur de Cecilia Malmström. « Le but n’était pas de sortir du frigo le TTIP », rappelle-t-il, mais de conclure rapidement « un accord à portée limitée pour éviter les risques d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis ».
Le texte doit être adopté par le Sénat dans les trente jours
Le texte élaboré par les services de Robert Lightziger, et qui doit être adopté par le Sénat américain dans un délai de trente jours après sa publication, indique donc un changement d’agenda côté américain.
Car au delà du secteur agricole, les objectifs énoncés démontrent une volonté de conclure un accord global à large portée, incluant d’autres secteurs, exclus par les Européens, comme les marchés publics ou les indications géographiques. Or ces deux volets sont bien repris dans le texte concocté par le secrétariat au Commerce qui vise notamment à « améliorer l’accès des entreprises américaines aux marchés publics européens » sans, bien sûr, remettre en question le sacro-saint principe du « Buy American ».
« Cette proposition veut la fin de l’agriculture européenne et de l’exception culturelle. Les demandes de l’administration américaine sont choquantes et vont bien au-delà du TTIP que nous avons combattu avec succès. Elles visent, ni plus ni moins, à placer l’Union européenne sous tutelle », s’indigne José Bové, eurodéputé du groupe des Verts.
La balle est désormais dans le camp de la Commission qui doit, à son tour, fixer ses objectifs dans le cadre des ces pourparlers commerciaux, afin d’obtenir un mandat clair de la part des Etats membres. Alors que le Sénat américain dispose d’un mois pour se prononcer – ce qui permettrait, théoriquement, à l’administration de lancer les pourparlers dès la mi-février – la procédure risque d’être plus longue côté européen. Mais à ce stade rien ne garantit que les deux blocs parviennent à s’entendre sur la portée de ces négociations, qui pourraient dès lors connaître le même sort que le défunt TTIP…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
* « United-States/European Union negotiations: summary of specific negotiations objectives »: document PDF en pièce jointe.