Si Londres est plongée dans l’incertitude la plus totale, à Bruxelles, c’est la consternation, et l’inquiétude après le nouveau revers intervenu dans la saga du « Brexit ». En rejetant une deuxième fois, mardi 12 mars au soir, le plan B de Theresa May – soit l’accord de retrait et son annexe donnant des garanties légales sur la durée du backstop – les députés britanniques « font un pas de plus vers le scénario catastrophe d’un no deal », s’est inquiété un haut responsable européen. Même si le lendemain, une majorité s’est dégagée à la Chambre des Communes de justesse pour rejeter un scénario de no deal, et que tout le monde s’attend à ce que Londres demande une prolongation de l’article 50, le feuilleton continue.
« Nous regrettons le résultat du vote et nous sommes déçus que le gouvernement n’ait pas été capable de constituer une majorité autour de l’accord scellé en novembre », ont renchéri, dans un communiqué commun, les porte-paroles de Jean-Claude Juncker et Donald Tusk, respectivement présidents de la Commission et du Conseil européens.
Scepticisme quant à la capacité des Britanniques à s’entendre
Car malgré les garanties, légalement contraignantes, proposées à l’issue d’un nouveau marathon de discussions entre les équipes de la Première ministre britannique et de Michel Barnier, le négociateur en chef côté européen, les députés ont à nouveau dit non, confirmant la conviction, largement partagée à Bruxelles, que la classe politique britannique est bien trop divisée pour s’entendre.
« Difficile de savoir ce que nous pouvons faire de plus. S’il y a une solution à l’impasse actuelle, c’est à Londres qu’elle doit être trouvée », a estimé Michel Barnier dans un tweet diffusé au lendemain du vote britannique, le 13 mars. Signe de l’exaspération croissante des responsables européens.
Et si désormais ces derniers privilégient la solution d’un report, ils ne masquent pas leur scepticisme quant à la capacité des Britanniques à s’entendre. « Ce n’est pas de beaucoup plus de temps dont on a besoin mais de décisions », avait déjà averti la semaine passée le négociateur français.
« Si le Royaume-Uni présente une demande motivée de prolongation, je m’attends à une justification crédible et convaincante », a indiqué sur Tweeter, Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais. Ajoutant : « les Vingt-sept considéreront la requête et décideront à l’unanimité. Le bon fonctionnement des institutions de l’UE doit être garanti ». Même son de cloche du côté de Madrid où le premier ministre, Pedro Sanchez, a lui aussi exprimé ses regrets, suite à l’issue du vote et ce, « malgré les efforts de l’UE de conclure le meilleur accord possible ».
Éviter les interférences avec les élections européennes
Mais la priorité affichée reste d’éviter le scénario d’un no deal. « Si une extension est la seule voie possible (…), il est très probable que les Vingt-sept donneront leur feu vert », lors du sommet des 21 et 22 mars à Bruxelles, pronostique un diplomate européen. Ce report devra néanmoins être limité dans le temps afin d’éviter toute interférence avec les élections européennes du 26 mai.
Selon des sources au service juridique du Parlement, une nouvelle échéance pourrait être fixée au 1er juillet, car les nouveaux députés ne seront officiellement investis que le 2 juillet. Un délai bien trop court pour d’autres qui, comme Jean-Claude Juncker, suggèrent aux Britanniques de prendre part aux élections si leur pays est toujours membre à part entière de l’UE, faute d’accord pour un retrait ordonné avant cette période.
A quoi bon reporter l’échéance ?
En bref : la demande de Londres, si elle est exprimée, devra donc être dûment motivée. « Une justification crédible » sera exigée, a également souligné, dans la foulée du vote, le président du Conseil européen Donald Tusk. Car à quoi bon reporter l’échéance, si un accord sur le Brexit paraît toujours mission impossible, du moins compte tenu de la volonté de Londres d’échapper au « joug » du marché unique européen et de l’union douanière, tout en rechignant à en accepter certaines conséquences ?
Un casse-tête bien identifié par Theresa May. Selon elle, « une extension sans un plan prolongera l’incertitude et passera le contrôle à l’UE, qui décidera de la longueur du délai et posera les conditions, voire conduira le pays à un second référendum ». Un report « ne résoudra pas les problèmes auxquels nous faisons face », a reconnu la Première ministre.
Cri d’alarme de la Confederation of British Industry
Car au Royaume-Uni, les effets d’un no deal, même s’il ne s’est pas encore concrétisé, commencent déjà à se faire sentir. L’industrie a en effet dépensé des centaines de millions d’euros dans des plans d’urgence, quelle ne pourra pas récupérer si un accord est finalement conclu entre Londres et Bruxelles.
Selon une enquête publiée la semaine passée par la Confederation of British Industry (CBI), l’équivalent du Medef, 273 entreprises des secteurs des services, de la fabrication et de la distribution, affirment être déjà subir une baisse des ventes et des investissements dans leur domaine d’activité. 57 % de leurs dirigeants se disent « extrêmement préoccupés » alors que seuls 19 % des sociétés interrogées expriment une « inquiétude modérée » face à la perspective d’une absence d’accord.
« La croissance est au point mort et les investissements s’évaporent. Le spectre d’un no deal a freiné des dépenses additionnelles dans de nouvelles usines, de nouveaux marchés, de nouveaux emplois », déplore Rain Newton-Smith, économiste en chef à la CBI.
Suppression des droits de douanes sur 87 % des produits importés
Face à cette grogne croissante, le gouvernement a publié dans la matinée du 13 mars, soit le lendemain du vote à Westminster, un nouveau plan d’urgence dans le cas d’un scénario sans accord. Celui-ci prévoit la réduction des droits de douane à zéro pour 87 % des produits importés en Grande-Bretagne.
Seuls certains biens ‘sensibles’ – les produits à base de viande bovine ou de poulet, les engrais, la céramique, les voitures (mais pas ses pièces détachées) – se verront imposer des taxes différenciées. « Le gouvernement doit se préparer à toute éventualité, s’est justifié George Hollingbery, le ministre britannique en charge du Commerce. Cette approche équilibrée doit permettre de soutenir l’emploi et d’éviter une flambée des prix en cas de no-deal, qui toucherait plus directement les ménages les plus pauvres ».
Des plans d’urgence mais pas de stratégie
Des plans d’urgence mais aucune proposition rationnelle, à ce stade, pour sortir de l’impasse. Résultat ? C’est à nouveau à l’UE que reviendra, qu’elle le veuille ou non, la responsabilité pour la suite des événements. Car il n’y aura pas d’autre accord, ni d’autre solution qu’un Brexit dur ou un report du Brexit.
Et si c’est désormais cette solution qui est privilégiée, faute d’alternatives crédibles, difficile d’imaginer qu’une extension changera quelque chose. Pour cela, il faudrait une nouvelle donne : une nouvelle stratégie britannique, un nouveau choix, un nouvel horizon. Mais aussi une nouvelle équipe pour mener cette politique. Bref : le casse-tête du Brexit est loin d’être terminé, même si l’échéance du 29 mars arrive à grand pas.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles