Il promet de « faire plier Bruxelles ». Grand favori pour succéder à Theresa May au poste de Premier ministre britannique, Boris Johnson n’a cessé d’enchaîner les déclarations provocantes peu à même d’assouplir la position de négociation des Européens. Quelles sont ses chances de gagner cette partie ? Et de faire passer ses idées à Bruxelles ?
Les provocations de « Bojo »
Dernière provocation en date, son refus de payer la facture du divorce, fixée à 45 milliards d’euros, jusqu’à ce que l’Union européenne (UE) accepte de meilleures conditions de retrait.
« Nos amis et partenaires doivent comprendre que l’argent sera conservé jusqu’à ce que nous ayons plus de clarté sur le chemin à prendre », a expliqué ce partisan du « Brexit » dans un entretien au Sunday Times. « Dans un bon accord, l’argent est un excellent solvant et un très bon lubrifiant », a ajouté l’ancien ministre des Affaires étrangères.
Une annonce qui a suscité des réactions immédiates dans les autres capitales européennes. « Ne pas honorer ses obligations de paiement, c’est un non respect d’engagement international équivalent à un défaut sur sa dette souveraine, avec les conséquences que l’on connaît », répondait-on dans la soirée du 9 juin dans l’entourage du Président français Emmanuel Macron.
Même son de cloche en Belgique où, parmi d’autres responsables, l’eurodéputée belge Hilde Vautmans a qualifié « d’inacceptable » la menace du désormais célèbre trublion britannique. Et s’il passe aux actes après avoir remplacé Theresa May, « ce paiement devra être imposé juridiquement », a-t-elle également souligné.
Pas de quoi faite reculer celui que l’on surnomme aussi « Bojo » (Bo pour Boris, Jo pour Johnson) au Royaume-Uni. Pour lui, les Européens auraient trop à perdre en cas d’un divorce sans accord pour refuser ses conditions. Et s’ils ne le faisaient, pas de quoi s’inquiéter, ne cesse-t-il de répéter à ses partisans.
Son raisonnement est simple, pour ne pas dire simpliste : un départ brutal ferait passer le pays sous les auspices de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Aujourd’hui, les pays non-membres de l’UE absorbent 55 % des exportations britanniques, proportion qui ne fait que s’accroître. Malgré l’augmentation attendue de certains droits de douane, les marchandises produites dans le pays continueront à avoir accès aux marchés de l’UE en attendant la signature inévitable d’un accord de libre-échange avec Bruxelles.
Une bonne moitié des autres prétendants prêts au « no deal »
Mais sa défaite, encore possible, dans la course à la succession de Theresa May n’écarterait pas pour autant le spectre d’un « no-deal ».
Une bonne moitié des autres prétendants se déclare en faveur d’un Brexit dur si l’accord signé entre Bruxelles et Londres n’est pas renégocié d’ici la date butoir du 31 octobre. L’autre moitié interprète grosso modo une partition identique, mais à demi-voix, de manière à éviter un départ brutal aux conséquences catastrophiques pour l’économie britannique.
« Le problème est qu’ils continuent à promettre l’impossible alors que les Vingt-sept ont été très claires sur leurs lignes rouges et sur leur refus de renégocier l’accord de sortie », désespère Alex Taylor, journaliste britanniques installé en France.
Jeremy Hunt, l’actuel ministre des Affaires étrangères, également candidat, a assuré qu’une renégociation du Brexit serait possible pour éviter une sortie sans accord, s’appuyant sur une conversation avec Angela Merkel. Idem pour Sajid Javid, un autre prétendant qui a affirmé être en mesure de négocier « un meilleur accord », mais qu’en cas d’échec, il privilégierait, comme M. Johnson, une sortie sans accord, le 31 octobre.
Les modérés minoritaires
Dans le camp des modérés, les candidats sont plus rares.
Considéré comme l’adversaire principal du favori Boris Johnson, Michael Gove, le ministre de l’Environnement, a quant à lui annoncé qu’il accepterait un report du Brexit à la fin de 2020. Mais depuis le week-end dernier ses chances d’accéder au 10 Downing Street sont sérieusement compromises.
Une confidence d’une ancienne collaboratrice rapportée dans un article du Daily Mail, a contraint Michael Gove à reconnaître qu’il avait pris de la cocaïne « à plusieurs reprises » lorsqu’il était journaliste, voici une vingtaine d’années. Et ses excuses risquent de ne pas suffire pour faire valoir sa position de « soft Brexiter ».
Pas plus que Sam Gyimah, le seul à défendre l’idée d’un second référendum. Faute du soutien de 8 élus conservateurs, il s’est finalement retiré de la course à la présidence du parti et au poste de Premier ministre.
De nombreux cailloux dans les chaussures de « Bojo »
Si Boris Johnson reste, à ce stade, le grand favori, il devra néanmoins, en cas victoire, affronter plusieurs obstacles pour imposer le scénario d’un « no deal ».
L’hostilité des milieux d’affaires britanniques, d’abord, qui déplore l’absence de préparatifs dignes de ce nom. Dans ce contexte, le patronat pourrait aggraver la crise financière du parti conservateur. Depuis l’échec des négociations du Brexit et la débâcle des conservateurs aux élections européennes, leurs versements aux Tories ont déjà chuté de moitié.
Autre caillou dans la chaussure de « Bojo » : John Bercow, le speaker de la Chambre des communes, qui s’est engagé à faire bloquer toute tentative de « no deal ». Dans ce cas, les conservateurs se verraient confrontés à deux scénarios catastrophes pour le parti : soit un nouveau référendum qui aurait pour conséquences d’exacerber plus encore ses divisions; soit la convocation d’élections générales qui, selon les sondages, consacrerait la victoire de l’opposition travailliste.
Enfin, Boris Johnson reste la bête noire de Bruxelles, de quoi compliquer les négociations à venir d’ici à la date butoir du 31 octobre. Or, elles s’annoncent complexes.
Dans une interview diffusée en direct par le site politico.eu, le 11 juin, Jean-Claude Juncker a clairement mis en garde les prétendants au poste de Premier ministre. « Il n’y aura pas de renégociation du contenu de l’accord de retrait » conclu entre l’UE et Theresa May. « Ce n’est pas un traité entre Theresa May et Jean-Claude Juncker, c’est un traité entre le Royaume-Uni et l’UE, il doit être respecté par le prochain Premier ministre britannique quel qu’il soit », a poursuivi le Président de la Commission européenne.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles