Le torchon brûle entre Jean-Claude Juncker et Angela Merkel. Si les signes de mésentente se sont multipliés depuis l’accession de l’ancien Premier ministre luxembourgeois à la présidence de la Commission européenne en 2014, le ‘Brexit’ aurait aggravé la rupture. « Jean-Claude Juncker a encore agi contre l’intérêt commun », il est « une partie du problème de l’UE », estimerait la chancelière allemande.
A l’origine de ces indiscrétions? Un ministre allemand, membre de la CDU, dont les propos ont été relayés dans un article du Sunday Times paru le 2 juillet dernier. Selon ce haut responsable allemand, dont l’identité n’est pas révélée, la pression pour que Jean-Claude Juncker démissionne va devenir plus grande. « La chancelière devra finalement s’occuper de cela l’an prochain ». Si ces allégations ont bien sûr été démenties par le parti d’Angela Merkel, les faits sont là pour démontrer le fossé grandissant entre les deux personnalités politiques.
L’indépendance du président de la Commission, sa volonté de rendre l’institution plus politique, n’ont jamais été du goût de la chancelière. Partisan d’une certaine souplesse dans l’application des traités, alors que Berlin défend bec et ongles une stricte orthodoxie budgétaire, Jean-Claude Juncker est désormais considéré par les Allemands, en particulier le tout puissant ministre des Finances Wolfgang Schaüble, comme un obstacle à la « stabilité » économique de la zone euro.
A l’instar de la France ou de l’Italie, il est favorable à l’approfondissement de la zone euro
Mais c’est bien la gestion de l’après-Brexit qui aurait mis le feu aux poudres. Dès l’annonce des résultats, le chef de l’exécutif européen n’a pas caché son irritation face aux atermoiements des responsables à Londres, exigeant le lancement rapide de la procédure de divorce. A l’instar de la France ou de l’Italie, Jean-Claude Juncker est lui aussi favorable à l’approfondissement de la zone euro pour relancer un projet européen en panne. Et pour ce fédéraliste convaincu, la solution passe toujours par ‘plus d’Europe’, un postulat qui suppose des transferts de compétences des capitales européennes vers Bruxelles.
Or, c’est bien le mouvement inverse qui est préconisé par Berlin. Pour Angela Merkel ‘plus d’Europe’ renvoie plutôt à une coopération renforcée entre les États membres et à un exécutif à Bruxelles allégé, moins politique, limité à un rôle de gardien des traités. Concernant le lancement des négociations avec Londres, la chancelière insiste pour ne pas précipiter les choses, « gagner du temps et manœuvrer en coulisses pour tenter d’éviter un Brexit », analyse un diplomate au Conseil. Le scénario ne serait pas inédit, commente cette source, rappelant la façon dont le « non » au référendum de 2005, en France, avait été contourné en remplaçant le traité d’origine par un « mini-traité », conçu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, et finalement ratifié deux ans plus tard. Pas question non plus pour la chancelière de « punir » le Royaume-Uni en cas de ‘Brexit’. Une telle posture risquerait en effet de réduire l’accès des entreprises allemandes au marché britannique.
Dans cette nouvelle bataille – qui illustre les divisions profondes au sein de l’UE sur la façon de redonner du sens au projet européen – Jean-Claude Juncker risque d’avoir toutes les difficultés du monde à réunir les alliés nécessaires pour imposer sa vision. Il espérait déjà mettre la Commission au cœur du futur processus de négociations entre l’UE et le Royaume-Uni, dès l’activation de l’article 50 du traité. Mais ses espoirs ont été douchés par le Conseil, l’organe de représentation des États membres à Bruxelles. Au lieu d’une équipe formée autour de Martin Seylmar, le plus proche conseiller de Jean-Claude Juncker, comme l’aurait souhaité ce dernier, la « task force Brexit » sera pilotée par le Conseil européen avec à sa tête le diplomate belge Didier Seeuws.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–“Brexit” / Modalités pratiques : les Britanniques gardent la main mise sur le calendrier européen
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