Dans l’agroalimentaire, les exportateurs européens ont tout lieu de s’inquiéter des conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Après le Conseil européen du 15 décembre 2017, qui a entériné le passage à la deuxième phase des négociations*, l’organisation européenne qui défend les intérêts agricoles européens à Bruxelles, la Copa-Cogeca, souhaitait un commerce « sans friction autant que possible ».
On peut le comprendre. D’après le rapport d’étude du Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) pour le Parlement européen, intitulé « EU – UK agricultural trade: state of play and possible impacts of Brexit », l’UE à 27 dispose dans l’agroalimentaire d’une balance commerciale de l’ordre de 29 milliards d’euros, et le Royaume-Uni représente 9 % environ de ses exportations en moyenne sur une période de trois ans (2013-2015).
Pays-Bas et Irlande, principaux perdants
« L’enjeu pour les Européens est clairement les exportations et pas les importations », insistait l’une des auteurs de l’étude, Cecilia Bellora, économiste au Cepii. L’impact serait particulièrement important en cas de Hard Brexit pour deux pays, les Pays-Bas, en raison des montants exportés, et l’Irlande, du fait de l’importance du débouché britannique par rapport à l’ensemble de ses exportations agroalimentaires.
Ce scenario signifierait, en effet, que les tarifs douaniers remonteraient au niveau dit de la nation la plus favorisée (NPF), une formule appliquée, faute de mieux, entre membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Globalement, les droits d’entrée au Royaume-Uni passeraient de 0 à 13,6 % pour la catégorie Autres produits alimentaires, c’est-à-dire alimentation animale, produits de boulangerie-biscuiterie essentiellement, et 41 % pour les produits laitiers. S’y ajouteraient évidement des mesures non tarifaires, ce qui fait dire aux auteurs de l’étude que le cumul des barrières au commerce, à savoir droit NPF + mesures non tarifaires, s’élèverait à 64 % contre 26 % à l’heure actuelle en moyenne.
Fin du commerce dans le lait, la viande rouge ou blanche, le riz, le sucre
Dans cette hypothèse, les échanges globaux entre l’UE à 27 et le Royaume-Uni chuteraient de 67 %. Pour certains produits, comme le lait, la viande blanche ou rouge, le riz et encore le sucre, le commerce disparaitrait presque complètement, alors qu’il subirait une baisse sensible (- 64 %) pour le poste Autres produits alimentaires.
Interrogé à l’issue de la réunion par Le Moci sur l’impact pour la France, Patrick Garnon, chef du service Marchés et études des filières à FranceAgriMer, indiquait que la principale préoccupation concernant les produits de biscuiterie-boulangerie. Pas tant à cause des barrières tarifaires ou non tarifaires, mais parce que les entreprises du secteur ne savent pas encore réorganiser leur production, la chaîne de valeur étant éclatée sur toute l’Europe.
S’agissant du vin, qui compose la moitié des exportations françaises, il se déclarait relativement peu inquiet, dans la mesure où les véritables barrières existent déjà. Ce sont les taxes, qui représentent environ 60 % du prix d’une bouteille. Lors du dernier salon Vinexpo, à Bordeaux en juin, après avoir que les producteurs européens aient noté une hausse de 3 % des prix outre-manche, les avis étaient partagés entre ceux qui pensent que les exportations vont diminuer ou pas.
Comme la Copeca-Cogeca, le Comité européen des entreprises de vins (CEEV) se déclarait partisan d’un nouvel accord de libre-échange au moins au même niveau que celui déjà existant, en maintenant des droits de douane nuls. Michel Barnier, le négociateur en chef des 27 a prévenu que l’accord sur le Brexit devait être prêt en octobre pour amener à une sortie effective de l’UE en mars 2019.
Possibilité de se réorienter hors Royaume-Uni
Si ses dates étaient respectées, alors une période de transition s’ouvrirait automatiquement et un futur accord commercial pourrait régir les relations entre le Royaume-Uni et l’UE. Bien sûr, l’idée que les négociations n’aboutissent pas, ce ne veulent pas ni les Britanniques ni les 27, est dans toutes les têtes.
En cas de Hard Brexit, la plupart des membres de l’UE auraient, cependant, la possibilité de réorienter leurs flux vers le marché domestique, européen et mondial, notamment la France et y compris les Pays-Bas. En revanche, ce ne serait pas le cas de l’Irlande, qui serait la grande perdante, en raison de sa très grande dépendance du Royaume-Uni, non pas seulement en terme de marché, mais aussi d’intrant. « Du coup, expliquait Jean Fouré, économiste au Cepii, un des auteurs de l’étude, les prix s’élèveraient, sans pour autant que la valeur ajoutée et la productivité y augmentent ».
François Pargny
* Européens et Britanniques ont entamé la deuxième phase des négociations après avoir trouvé un compromis sur le sort des citoyens expatriés, la frontière irlandaise et le règlement financier.
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