Cet article à fait l’objet d’une alerte diffusée à nos abonnés dès le 16 octobre, 8h00.
La Turquie va subir toute une série de sanctions pour son offensive dans le nord-est de la Syrie. Même si les Européens se montrent un peu plus timorés que les Américains, les entreprises qui ont des courants d’affaires avec ce pays doivent anticiper. Voici une revue de détail de la situation.
Incapable de lui imposer un cessez-le-feu, Washington a mis, lundi 14 octobre, sa menace à exécution en décidant d’une série de sanctions économiques à l’encontre d’Ankara.
Le même jour les vingt-huit ministres européens des Affaires étrangères étaient réunis au Luxembourg pour passer en revue les moyens dont dispose l’Union européenne (UE) pour convaincre – ou contraindre – le président Recep Tayyip Erdogan à mettre fin à son offensive dans le nord-est de la Syrie.
« Détruire l’économie turque »
Donald Trump souffle le chaud et le froid depuis l’annonce, la semaine passée, du retrait des troupes américaines stationnées aux abords de la frontière turco-syrienne.
S’il a d’abord martelé que les États-Unis devaient se désengager des « guerres sans fins » au Moyen-Orient, il a ensuite durci le ton se disant prêt, le 14 octobre, à « détruire l’économie turque » si Ankara poursuivait son offensive en Syrie. Une déclaration qu’il a diffusée, comme à son habitude, via Twitter.
Dans un décret présidentiel, signé le même jour, le président américain liste une série de sanctions économiques visant les ministres turcs de la Défense, de l’Energie et de l’Intérieur, ainsi que leurs ministères, ciblés en tant qu’institutions. Ceux-ci verront leurs éventuels avoirs aux États-Unis gelés et leurs transactions en dollars bloquées.
Les droits de douane sur l’acier turc, actuellement à 25 %, seront doublés à 50 % et l’ambitieux pacte commercial que devait conclure les États-Unis et la Turquie – annoncé le mois dernier par Wilbur Ross, le secrétaire au Commerce -, estimé à 100 milliards de dollars, sera également suspendu.
Ce train de mesures pourrait encore « être renforcé », a avertit le Vice-Président Mike Pence, si Ankara refusait d’entendre raison. « Les États-Unis veulent que la Turquie mette fin à l’invasion, mette en œuvre un cessez-le-feu immédiat et commence à négocier avec les forces kurdes en Syrie », a-t-il indiqué, précisant qu’il se rendrait prochainement dans le pays à la demande de Donald Trump.
Des sanctions plus « light » que prévu
Très critiques quant au retrait des troupes américaines du nord de la Syrie – assimilé à une sorte de feu vert des États-Unis au lancement de l’offensive turque dans la pays – les démocrates américains ont fustigé les sanctions décidées par Donald Trump jugées bien trop légères dans le contexte actuel.
« Le président Trump a déclenché une montée du chaos et de l’insécurité en Syrie. Son annonce d’un ensemble de sanctions contre la Turquie n’est vraiment pas suffisante pour renverser ce désastre humanitaire », a déclaré, dans un communiqué, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.
La livre turque a d’ailleurs rebondi le 15 octobre, après une semaine sous pression. Les investisseurs s’attendaient eux aussi à des sanctions plus sévères, visant notamment les banques turques. Contrairement à leurs craintes, elles ne figurent pas dans le décret présidentiel signé par Donald Trump.
Autre ligne rouge que les États-Unis se sont également refusés à franchir : les achats de carburant par la Turquie, « car nous ne cherchons pas à fermer l’approvisionnement en énergie du peuple turc », s’est justifié Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor.
Et si Washington fait passer les droits de douane sur l’acier de 25 à 50 %, l’impact de cette augmentation restera limité, les États-Unis ne représentant que 5 % du marché à l’exportation de l’acier turc et celui-ci, 1,1% seulement des importations américaines.
Des mesures « mesurées » côté européen
Malgré les réticences de certains États membres – tels que la Hongrie ou la Pologne, dont les leaders populistes entretiennent de bonnes relations avec leur homologue turc Recep Tayyip Erdogan – les Vingt-huit ont déjoué les pronostics en condamnant unanimement l’offensive en Syrie, à l’issue du conseil « affaires étrangères » qui s’est tenu lundi 14 octobre au Luxembourg.
Mais les moyens à disposition de l’UE pour faire pression sur Ankara se sont révélés limités, et ceci pour plusieurs raisons. Difficile, en premier lieu, de viser explicitement un partenaire au statut privilégié, candidat officiel à l’adhésion, même si dans les faits, les négociations sont gelées depuis plusieurs années.
La Turquie est aussi un allié stratégique de l’Otan, sur le flanc sud-est de l’Alliance, avec la seconde armée – après les États-Unis – en nombre d’hommes.
Enfin, Ankara dispose d’un levier de taille : la présence de millions de réfugiés, jusqu’ici contenu sur son territoire, conformément à l’accord conclu avec l’UE au printemps 2015, au plus fort de la crise migratoire. « Si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants », a déjà menacé le président Erdogan.
Des sanctions en demi-teinte
Faute d’unanimité pour décider d’un embargo européen sur les armes, les Vingt-huit se sont néanmoins engagés à adopter des « positions nationales fortes » pour cesser les exportations d’armes vers la Turquie dans la foulée de plusieurs pays comme la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, l’Allemagne et la France, qui ont d’ores et déjà suspendu leurs ventes d’armes.
La mesure aura « les mêmes effets qu’un embargo », a assuré Federica Mogherini, reconnaissant que celui-ci aurait été juridiquement incertain compte tenu de l’appartenance de la Turquie à l’Otan. Le mécanisme retenu « permet une décision beaucoup plus réactive et rapide. Prise au niveau national elle sera ensuite coordonnée et supervisée à l’échelle de l’Union », a précisé la cheffe de la diplomatie européenne.
Elle a également rappelé que « dans la plupart des cas, notre politique d’embargo suit des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU », et une telle direction n’a pas été prise pour la Turquie.
Une seconde mesure a été prise dans un autre domaine, mais « connecté » au premier, pour la haute-représentante : les Vingt-huit ont ouvert la voie à des sanctions visant les individus et entreprises impliqués dans des activités illégales de forage d’hydrocarbures menées par la Turquie au large de Chypre.
Les Vingt-huit doutent de pouvoir convaincre Erdogan
La réponse de l’UE sera-t-elle suffisante pour faire plier Ankara?
« On verra », a rétorqué Federica Mogherini, indiquant que d’autres mesures pourraient être décidées par les chefs d’État et de gouvernement, « en fonction de l’évolution de la situation », lors du sommet qui se tiendra à Bruxelles les 17 et 18 octobre.
« Je ne pense pas que Erdogan va s’arrêter », a estimé pour sa part Jean Asselborn, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères. La suspension des contrats d’armement, par exemple, n’aura aucun effet sur l’offensive en cours.
« L’opération était manifestement préparée de longue date et les forces armées turques comme le président Recep Tayyip Erdogan ont évidemment pris leurs précautions et disposent de tous les stocks nécessaires », souligne Marc Pierini, l’ancien représentant de l’UE à Ankara, cité par le journal Le Monde.
Seule une action plus large, impliquant la coalition internationale, serait susceptible de faire évoluer la situation. « Nous devons faire en sorte que les États-Unis provoque une réunion », entre tous les alliés de la coalition contre Daesh, a insisté Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française. « Il importe qu’on se réunisse pour apprécier la nouvelle donne. Car pour la France l’ennemi principal reste Daesh ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles