Après les scandales fiscaux révélés par le « Luxleaks » ou les « Panama papers », la publication d’une série de documents confidentiels concernant l’état d’avancée des négociations du projet de partenariat transatlantique (Transatlantic Trade and Investment Partnership -TTIP ou TAFTA) entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, tombe très mal pour la Commission européenne. En dénonçant l’opacité du processus de décision au sein de l’UE, chaque affaire vient d’abord plomber le peu de légitimité dont bénéficie encore l’institution auprès des citoyens européens. Ensuite, ces nouvelles révélations viennent confirmer à quel point ces pourparlers sont peu avancés et restent déséquilibrés, à l’inverse du message des déclarations récentes de Barack Obama et d’Angela Merkel lors de leur rencontre à Hanovre le 24 avril dernier*. Alors, tempête dans un verre d’eau, comme veut le croire Cecilia Malmström, ou nouvel épisode de la chronique d’une mort annoncée, comme la levée de boucliers que ces fuites provoquent dans les opinions européennes, en premier lieu à gauche et chez les écologistes, le laisse entendre ?
Selon le quotidien français Le Monde, qui a pu consulter les documents avant leur publication lundi 2 mai, les Européens sont plus impliqués dans ces pourparlers, et ont, depuis leur lancement, mis le plus de propositions sur la table. Les Américains, quant à eux, sembleraient moins enthousiastes, restant campés sur leurs positions notamment sur les volets marchés publics ou de la coopération réglementaire dans le secteur des services financiers. Par ailleurs, Washington ne s’est toujours pas prononcé sur la proposition de la Commission visant à remplacer le projet de système de règlement des différends investisseurs/État (ISDS) par arbitrage privé – d’abord envisagé – par une cour publique dotée d’un mécanisme d’appel, une exigence majeure côté européen.
« Je n’abaisserai tout simplement pas les normes »
Dans un texte publié sur son blog, la commissaire au Commerce a tenté de minimiser l’impact de cette nouvelle affaire : « les gros titres alarmistes d’aujourd’hui sont une tempête dans un verre d’eau », écrit Cecilia Malmström rappelant que les documents publiés par Greenpeace ne reflétaient que les positions de négociation des parties, « rien de plus ». Visiblement lassée de réitérer les mêmes promesses depuis des mois, elle insiste à nouveau : « Il faut le répéter, encore et encore : aucun accord commercial n’affaiblira notre protection des consommateurs, notre sécurité alimentaire ou notre protection de l’environnement. Je n’abaisserai tout simplement pas les normes ».
Même son de cloche à Washington où Trevor Kincaid, le porte-parole de la Représentation américaine au Commerce extérieur, a tenu à affirmer que cet accord protégerait « les consommateurs, les travailleurs et l’environnement. Ni l’UE ni les États-Unis n’accepteraient autre chose que cela ».
Mais le communiqué publié lundi 2 mai par Greenpeace affirme le contraire. Selon l’ONG, aucun des chapitres consultés ne fait référence à la règle dites des « Exceptions générales », « qui permet aux États de réguler le commerce de manière à protéger la santé ou la vie humaine, animale et végétale ou à conserver les ressources naturelles épuisables ». Autre critique : les textes consultés font également l’impasse sur la protection du climat et l’accord conclu à la COP 21, qui doit maintenir la hausse des températures sous la barre de 1,5 degré. « Pire, la portée des mesures de mitigation est limitée par les dispositions des chapitres consacrés à la coopération réglementaire ou à l’accès au marché des biens industriels ».
L’ONG écologiste dénonce aussi la fin du principe de précaution qui permet aujourd’hui à l’Europe de refuser certains produits et pratiques au nom de la santé ou de l’environnement. Malgré les assurances de Cecilia Malmström, les Européens ne font jamais référence à ce sacro-saint principe dans les documents qui ont ‘fuité’. Greenpeace dénonce enfin un traité vu comme une porte ouverte aux intérêts des industriels – en particulier des multinationales – qui pourraient, en cas d’accord, intervenir à toutes les étapes du processus décisionnel.
« En amont à travers l’organe de coopération réglementaire, en aval à travers les tribunaux privés arbitraux qui permettront aux firmes d’attaquer les États si ces législations remettent en cause leurs intérêts et leurs profits futurs », précise Yannick Jadot porte-parole du groupe des Verts sur le TTIP au Parlement européen (PE).
« La France dit non au traité de libre-échange atlantique »
Déjà très critique sur l’évolution de ces négociations, Matthias Fekl a lui aussi profité de ces révélations pour dénoncer à nouveau l’attitude des États-Unis. « L’arrêt des négociations est l’option la plus probable », a-t-il indiqué mardi 3 mai sur Europe 1. « Nous voulons de la réciprocité. L’Europe propose beaucoup et elle reçoit très peu en échange. Ce n’est pas acceptable », a répété le secrétaire d’État au Commerce extérieur. Des propos confirmés quelques heures plus tard par le chef d’État français, François Hollande, soulignant qu’à ce stade des négociations, « la France dit non au traité de libre-échange atlantique », car « nous ne sommes pas pour le libre-échange sans règle ».
En Allemagne, où l’opinion publique est la plus critique d’Europe sur les négociations transatlantiques – seuls 17 % de la population y seraient encore favorables-, les révélations de Greenpeace ont fait la une de tous les médias. Si contrairement à la France, le gouvernement a maintenu sa position officielle en faveur d’une conclusion rapide des négociations, certains membres du SPD – partenaire de la grande coalition dirigée par Angela Merkel – ont eux aussi menacé de faire capoter les pourparlers faute de fléchissements majeurs dans la position des États-Unis.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*UE / États-Unis : les marchés publics, pomme de discorde dans les négociations TTIP
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la LC aujourd’hui : UE / Etat-Unis : ce qu’il faut savoir des avancées du 13e round de discussions du TTIP