Thierry Drilhon connaît le monde des affaires à l’international comme sa poche : il a travaillé plus de trente ans dans les secteurs des technologies et de l’innovation. Ancien directeur général de Microsoft France et ancien président de la filiale française de Cisco, il est depuis juin 2018 président de la Franco-British Chamber of Commerce (FBCC), Chambre de commerce et d’industrie franco-britannique. Il revient pour Le Moci sur les grands enjeux du Brexit.
Le Moci. Alors que les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne s’enlisent, pensez-vous qu’un accord sera trouvé d’ici le 1er janvier ?
Thierry Drilhon. Tout d’abord, il convient de rappeler que le Brexit est un choix démocratique effectué démocratiquement par le peuple britannique même si les dirigeants des entreprises auraient préféré rester dans l’UE. De mon point de vue, il est important de sortir par le haut de cette situation, plutôt que par le bas et je souhaite qu’un accord soit trouvé.
Il ne faut pas oublier que cet accord sera un cadre : ce qui comptera c’est la renégociation de 682 traités signés par le Royaume-Uni avec l’Union européenne ou des pays membres. Il y aura encore beaucoup de travail et de choses à préciser. Pour l’heure, trois sujets sont encore problématiques : la notion de concurrence loyale, les règles de gouvernance et cette bombe politique qu’est le sujet de la pêche, même si elle ne représente que 1 % des échanges de biens entre le Royaume-Uni et l’UE.
« Le Royaume-Uni est et restera un partenaire historique de la France »
Le Moci. Alors que l’année 2019 avait été propice aux échanges franco-britanniques, avec une hausse de 7 % par rapport à 2018, les statistiques sur les premiers de l’années montrent une baisse de 31 % des exportations françaises outre-Manche et une baisse de 27 % des achats britanniques auprès des entreprises françaises. Comment voyez-vous l’avenir des relations commerciales entre nos deux pays ?
Thierry Drilhon. La crise sanitaire a en effet plombé les échanges commerciaux, mais il ne faut pas non plus s’imaginer qu’ils vont s’arrêter d’un coup. Le Royaume-Uni est et restera un partenaire historique de la France.
Je vois à l’œuvre dans cette chute des échanges deux phénomènes : les sous-activités créées par la pandémie, mais aussi le fait que, pour anticiper les effets du Brexit, les entreprises ont revu leurs chaînes de valeur. Ils ont relocalisé leurs activités dans d’autres pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne, mais aussi la France. JP Morgan Chase, par exemple, a choisi d’installer des équipes à Paris.
Le Moci. Est-ce que ces départs augurent de la fin de la City ?
Thierry Drilhon. La City est et restera un pôle financier. Les chambres de compensation monétaires qui représentent 750 milliards d’euros d’échanges chaque année ont obtenu 18 mois supplémentaires avant de sortir de l’Union européenne.
« De cette difficulté, nous pouvons faire une formidable opportunité »
Le Moci. Tous secteurs confondus, les entreprises sont-elles prêtes pour le retour des formalité douanières au 1er janvier 2021 ?
Thierry Drilhon. C’est bien qu’on mette fin à ce feuilleton façon Netflix. Ce retour de la frontière est une bonne chose : alors que le monde économique n’aime pas l’incertitude, il permet d’éclaircir la situation. Les grandes entreprises sont prêtes depuis longtemps, environ deux ans, et les PME s’y sont mises plus tardivement.
Je suis plutôt optimiste quant au bon déroulement des formalités douanières même si on a lu beaucoup de choses, notamment des articles évoquant des files de camions longues de 27 kilomètres. Il faut en revenir aux faits. Getlink, qui gère le tunnel sous la Manche, a investi 47 millions d’euros. Il a également mis en place la « frontière intelligente » qui va permettre de numériser toutes les démarches. Le gouvernement français a recruté 700 douaniers et 280 vétérinaires.
Pour moi, la question de la préparation des entreprises françaises au Brexit est un non-sujet. Côté britannique, on essaie de rattraper le temps perdu en attribuant 7 00 millions de livres pour l’achat de terrains et la construction d’infrastructures dans le Kent.
Le Moci. Finalement, le Brexit ne va-t-il pas ouvrir des opportunités ?
Thierry Drilhon. Cela va en partie dépendre de l’accord qui sera trouvé. A cet égard, je tiens à rendre hommage à Michel Barnier et ses équipes qui ont effectué un travail formidable. L’Union s’est montrée très cohérente à un moment où l’on craignait le repli sur soi et la montée des nationalismes. Les Vingt-sept se sont montrés cohérents, résilients et solidaires.
De cette difficulté, nous pouvons faire une formidable opportunité pour rappeler les valeurs européennes : soit on est dans l’UE, soit on n’y est pas. Les Vingt-sept ont encore une fois été remarquables de solidarité, sans agressivité et sans hypothéquer l’avenir.
« L’occasion d’établir une relation basée sur l’équilibre et la réciprocité »
Le Moci. Et du côté des entreprises ?
Thierry Drilhon. Dans les secteurs de la défense et de l’aéronautique, la collaboration franco-britannique est étroite et elle perdurera. Dans tous les secteurs, une saine concurrence va prévaloir.
Je vois dans Brexit trois opportunités pour la France. Premièrement, il permet de repenser les relations franco-britanniques en saine concurrence, de faire la part entre la solidarité et la concurrence commerciale.
Deuxièmement, il met en lumière le retour de l’attractivité de la France, dont je ne peux que me féliciter, en particulier grâce à l’innovation, l’éducation et l’assouplissement du code du travail. On est loin de l’imposition à 75 % qui horrifiait les investisseurs étrangers ! Dans cette mouvance géopolitique, ces derniers recherchent à investir sur le long terme et la France est désormais la tête de pont européenne.
Enfin, le Brexit constitue une opportunité pour repenser la gouvernance et les priorités stratégiques de l’Union. On n’aborde pas les mêmes choses de la même façon à sept ou à vingt-sept.
Le Moci. Qu’attendent aujourd’hui les entreprises ?
Thierry Drilhon. Elles veulent plus de clarté au sujet de la compétitivité. On a beaucoup parlé d’un « Singapour sur Tamise », soit d’une économie totalement dérégulée. Je n’y crois pas une seule seconde et vois plutôt l’occasion d’établir une relation basée sur l’équilibre et la réciprocité.
Propos recueillis par Sophie Creusillet