Si l’accord du 14 juillet sur le dossier du nucléaire iranien est un succès diplomatique pour le président Obama, pour autant, « les États-Unis ne vont pas aller comme cela sur le marché iranien», a lancé l’ambassadeur de France à Washington Gérard Araud, le 24 août, devant une assemblée dominée par de jeunes étudiants, dans le cadre de la Semaine des ambassadeurs (24-27 octobre) organisée par le Quai d’Orsay.
« Pour des raisons de terrorisme, les États-Unis vont maintenir des mesures de restriction. Même si la majorité des Américains semble favorable à l’accord, a précisé le représentant de la France depuis 2014, il n’y aura pas d’ambassade en Iran, car le souvenir de 1979, pendant laquelle les diplomates de l’ambassade à l’époque ont été maintenus prisonniers 444 jours, reste très présent ». Ce qui n’empêche pas les États-Unis, à l’approche des élections législatives en Iran (février 2016), d’espérer que l’accord aura un effet positif sur l’Administration iranienne, après le tournant historique qu’a été l’élection d’un président réformateur, Hassan Rohani, en juin 2013.
Au demeurant, Gérard Araud s’attend plutôt à une montée des tensions entre Washington et Téhéran, chaque capitale ayant besoin de faire de la surenchère « pour ne pas montrer qu’elle a capitulé ». En revanche, prévoit-il, « la Chine va pouvoir obtenir un accès à l’énergie iranienne », alors que « des réserves ne sont pas exploitées sur place depuis 35 ans ».
Outre-Atlantique, il faut encore que l’accord conclu par l’Administration Obama passe le cap du Congrès. Sous la pression des Républicains et des lobbies juifs, le Congrès devait voter contre. Malgré la position d’Israël contre cet accord, pour qui « c’est une vraie question existentielle », a insisté Gérard Araud, l’amitié entre Washington et Tel Aviv ne devrait pas être remise en cause. En définitive, l’accord devrait être entériné, car Barack Obama opposera son véto à un vote de rejet du Congrès, lequel ne pourra probablement trouver la majorité des deux tiers qu’il lui faudra ensuite pour un retrait définitif de l’accord.
Une négociation vraiment focalisée sur le nucléaire et la bombe atomique
« Vu de Washington, la négociation sur le nucléaire était plus importante que Daech », a encore souligné l’ambassadeur de France, faisant ainsi allusion à une alliance éventuelle avec Téhéran au Moyen-Orient contre le groupe terroriste. « Dans le cas de l’Iran, notre but était de l’empêcher de se doter de la bombe atomique », a également pointé le ministre français des Affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius.
Selon Nicolas de Rivière, négociateur en chef de la France sur le nucléaire iranien, « l’Iran pouvait technologiquement mettre au point un engin militaire dans un délai de trois mois. Avec l’accord, son programme est ralenti pendant dix à quinze ans, ce qui donne la sécurité à la communauté internationale. Ses capacités physiques sont ainsi réduites. On va diviser par quatre le nombre de ses centrifugeuses, à l’heure actuelle au nombre de 20 000, ses installations seront sous contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et il y aura aussi des limitations en matière de recherche et développement. Au bout des 10 à 15 ans selon les dispositions, l’Iran redeviendra un pays normal, qui pourra donc faire du nucléaire civil ».
« Pendant les négociations, a encore relaté Nicolas de Rivière, les Iraniens nous disaient très clairement qu’ils ne vous faisaient pas confiance et que, nous aussi, nous ne leur faisions pas confiance». C’est pourquoi, a-t-il justifié, la période de dix à quinze ans est si importante. « Elle doit permettre de rétablir la confiance », mais, « bien sûr, pour les Européens, elle n’était pas suffisante, il fallait (consentir à) des contrôles, du dialogue tout le long ».
Récupérer les avoirs à l’extérieur et attirer les IDE
En contrepartie, la République islamique a donc obtenu la promesse d’une levée des sanctions, notamment économiques, qui le frappent depuis 2007. « D’après les calculs, a énuméré Bruno Foucher, ambassadeur de France en Iran depuis quatre ans, le coût de son programme nucléaire s’élevait à 100 milliards de dollars, celui des sanctions à 500 milliards et le déficit d’investissement pendant la période d’investissement se monterait à 1 000 milliards, alors même que son produit intérieur brut atteint 400 milliards de dollars ». Et encore, le pays a connu sa meilleure période en matière de recettes pétrolières ces cinq dernières années.
Aujourd’hui, il va être confronté à un prix du baril en chute libre, de 100 à 46 dollars. Téhéran va, toutefois, récupérer de 30 à 100 milliards de dollars d’avoirs placés à l’extérieur et gelés dans le cadre des sanctions. De l’argent frais que le régime peut utiliser pour relancer l’économie. Mais « il peut aussi vouloir alimenter sa politique dans la région », a laissé entendre Bruno Foucher, ce que craignent les autres puissances de la zone, à commencer par l’Arabie Saoudite. « Les monarchies pétrolières sont inquiètes », a d’ailleurs convenu Gérard Araud. Pour l’ambassadeur à Washington, « en tuant l’Irak, les États-Unis ont donné l’Irak à l’Iran ».
Mais la République islamique doit parallèlement répondre à un autre défi : attirer à nouveau les investissements directs étrangers (IDE) pour soutenir son développement, moderniser son économie et créer de l’emploi. Elle doit « déverrouiller la société pour faire revenir les entreprises », a estimé Bruno Foucher, qui a rappelé que l’Iran compte « quatre millions d’étudiants, dont 60 % de filles, qui ont besoin d’emploi ».
Quels sont les atouts de la France ? « On attend la France dans différents domaines, a encore évoqué l’ambassadeur de France à Téhéran. L’automobile d’abord, car la France, avant les sanctions, y détenait 35 % de part de marché ». Aujourd’hui encore, selon lui, dans les rues de la capitale, « on ne voit que des Peugeot » et « Renault est présent ». Ensuite, dans l’aéronautique, « 5 000 appareils sont à remplacer » et, si jusqu’à présent « les Iraniens prenaient surtout du Boeing », à l’avenir, « ils vont panacher ». Enfin, pour le diplomate français, il y a encore toute une série de secteurs ou de produits porteurs : trains, camions, pharmacie, agroalimentaire, etc.
François Pargny
Pour prolonger :
Lire notre dossier en ligne : Sanctions : tout ce qu’il faut savoir sur leur levée progressive en Iran et le statu quo avec la Russie