La Saison II du Brexit s’ouvre le 1er février prochain pour onze mois, rien ne va changer concrètement dans le cours des échanges de personnes et de biens dans un premier temps. Les enjeux seront ailleurs, pour déterminer la relation future entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni. En plus de la stratégie de négociation que conduiront les négociateurs de chaque bloc, décryptée par notre correspondante à Bruxelles, le Moci se penche sur les enjeux du calendrier et les préparatifs.
Période de transition
Le Royaume-Uni ne sera donc plus membre de l’UE à partir du 31 janvier à minuit. Tel est le résultat immédiat de l’accord de retrait (voir fichier joint en pdf) que doit encore ratifier le Conseil de l’Union européenne, par procédure écrite, le 30 janvier.
Dès le 1er février, une période de transition s’ouvrira, devant permettre d’ici la fin de l’année de déterminer les relations futures entre Londres et Bruxelles, notamment sur le plan commercial.
L’accord de retrait, qui a valeur de traité international, prévoit qu’une prolongation des négociations peut être décidée pour une durée maximum de deux ans, à condition que celle-ci soit réclamée avant le 1er juillet.
Les deux camps divergent sur cette possibilité : côté britannique, le Premier ministre, Boris Johnson, a rejeté toute idée de négocier au-delà du 31 décembre; côté européen, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a émis le doute que les discussions puissent aboutir d’ici la fin de l’année.
Les Britanniques quittent les institutions européennes
La période de transition entre le 1er février et le 31 décembre s’annonce donc cruciale. « Rien ne va changer le 1er février, mais beaucoup va changer après le 31 décembre », résume-t-on à la Commission européenne.
De fait, pour le moment, rien ne va changer sur le plan pratique, Londres appliquant toujours le droit et les règles européennes. Sauf que le Royaume-Uni ne sera plus représenté dans les institutions et organismes européens (Cour de justice, Conseil, Parlement, etc…), ce qui signifie qu’il ne participera plus aux décisions de l’UE. En outre, s’il pourra toujours contribuer à des opérations de sécurité extérieure européennes, Londres ne pourra plus en assurer le commandement.
La disparition des Britanniques des instances européennes va rebattre les cartes entre les États membres et les partis politiques au sein du pouvoir législatif en particulier. De 751 membres, le Parlement européen va ainsi passer à 705. Sur ce total, 46 sièges seront réservés pour des élargissements futurs et 27 vont être distribués, les pays bénéficiaires (cinq sièges pour la France) étant retenus en fonction de leur déficit de représentation par rapport à leur démographie.
D’après des projections qui restent à confirmer, la principale nouveauté serait l’irruption d’Identité et démocratie (ID, auquel appartient le Rassemblement national/RN) en quatrième position au Parlement européen, avec 76 sièges, derrière les trois principales forces que seraient le Parti populaire européen (PPE), avec 187 sièges, l’alliance Socialistes & Démocrates (S & D), avec 148, et Renaissance Europe, avec 97.
Commerce : les changements profonds sont à venir
Le 31 décembre 2020, en revanche, beaucoup va changer. D’abord, concernant l’Irlande du Nord, qui disposera d’un statut économique spécial lui permettant d’être à la fois dans l’Union douanière européenne et dans l’espace territorial britannique. L’objectif étant d’empêcher l’établissement d’une frontière physique avec la République d’Irlande, les Douanes britanniques devront appliquer les règlementations européennes pour les produits destinés à l’UE.
« Les contrôles à Belfast devront être les mêmes qu’à Rotterdam et l’UE s’est gardée aussi un droit de regard », explique-t-on à la Commission européenne. De façon concrète, l’UE aura le droit d’être représentée pour des contrôles, de demander des informations et même de demander des contrôles, par exemple sanitaires. Du poulet au chlore en provenance des États-Unis arrivant à Belfast sera forcément rejeté, rassure-t-on à Bruxelles.
Ensuite, il y a le droit des citoyens. L’accord de retrait prévoit que plus de trois millions d’Européens résidents au Royaume-Uni et un million de ressortissants britanniques dans l’UE pourront toujours séjourner et poursuivre leurs activités en bénéficiant des mêmes avantages, notamment la sécurité sociale, les dispositifs de rapatriement. La liberté de circulation s’appliquera jusqu’à fin décembre 2020.
Autre point important, le respect de la propriété intellectuelle. A cet égard, il y a une bonne nouvelle : Londres et Bruxelles sont convenus que le stock d’indications géographiques (IG) existantes sera juridiquement protégé par l’accord de retrait jusqu’à ce qu’un nouvel accord soit conclu dans le cadre des relations futures. Ces IG sont des droits de propriété intellectuelle existant déjà au Royaume-Uni et dans l’UE.
Accord commercial ou général
Pour le reste, il va falloir négocier pied à pied pendant la période de transition. Compte tenu du peu de temps imparti, il est probable qu’Ursula Von der Leyen veuille trier les « urgences ». Le commerce, la pêche pourraient figurer parmi les priorités.
Une solution serait aussi, dans un premier temps, de se satisfaire d’un accord commercial plutôt que d’un accord plus large. Le premier ne requiert que la ratification du Conseil et du Parlement européens, alors que le second ne peut se faire sans l’approbation des États membres, selon leurs procédures propres, référendaire ou parlementaire.
Or, le circuit long peut s’apparenter à un véritable parcours du combattant, puisque certaines nations possèdent des Parlements régionaux. C’est la raison pour laquelle, pour contourner cet écueil dans le cas du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement / Accord économique et commercial global ) avec le Canada, le volet commercial a été lancé de façon provisoire avant la fin du processus complet de ratification. Une solution que l’on pourrait, pourquoi pas, imaginer avec le Royaume-Uni.
Il est certain que Michel Barnier, le négociateur européen qui assurera la coordination des travaux et avec les institutions européennes, devra être en phase avec le commissaire au Commerce Phil Hogan. Pêche et commerce sont deux dossiers qui devront forcément être menés de front, compte tenu des enjeux.
L’accès aux eaux britanniques est vital pour de nombreuses flottes européennes (France, Belgique, Pays-Bas et Allemagne). Les Britanniques, pour leur part, écoulent 75 % de leurs captures sur le continent. En matière commerciale, en 2018, d’après Eurostat, le Royaume-Uni réalisait avec l’UE 47 % de ses exportations (dont Allemagne: 10 %, France et Pays-Bas: 7 % et Irlande: 6 %) et 53 % de ses importations (dont Allemagne: 14 %, Pays-Bas: 8 % et France: 5 %).
Des équipes de négociation solides
Désigné à la tête de la « UK Task Force », Michel Barnier n’a pas encore obtenu de mandat de négociation de la part du Conseil européen. Il faut auparavant que la Commission européenne dépose ses propositions de mandat auprès des États membres, ce qui sera fait le 3 février.
Dans la négociation qui s’annonce difficile, Michel Barnier et Phil Hogan apparaissent particulièrement bien armés. L’Irlandais était auparavant commissaire européen à l’Agriculture. Et si le Français a perdu son adjointe Sabine Weyand, celle-ci est maintenant directrice générale au Commerce. Quant à son ancienne numéro 3, Stéphanie Riso, elle est devenue la chef de cabinet adjoint de la présidente Von der Leyen, en charge notamment du Brexit.
Par ailleurs, Michel Barnier s’est adjoint Clara Martinez, l’ancienne chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, et, comme numéro 3, Paulina Dejmek Hack, ex-conseillère de l’ancien président de la Commission européenne, en charge notamment des questions financières.
Les perspectives d’un « no deal »
Reste que si l’adoption de la période de transition marque la volonté des parties d’un Brexit ordonné, un « no deal » ne peut pas être exclu. En cas de Hard Brexit le 1er janvier 2021. Boris Johnson pourra alors appliquer la politique de dérégulation dont il rêve. Du moins en principe, car il est probable que l’UE réagira. Sur le plan commercial, ce seront les règles commerciales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’appliqueront, ce qui signifie la mise en place de barrières et de tarifs douaniers. Là aussi en principe.
Les négociations n’ont pas commencé que le Premier ministre du Royaume-Uni a déjà menacé de taxer les fromages français et l’automobile allemande. Parallèlement, Boris Johnson défend le concept du «zéro tarif, zéro quota » entre les deux blocs. Proposition à laquelle Michel Barnier a répondu fermement, en ajoutant l’exigence du « zéro dumping ». Les couteaux sont déjà bien aiguisés.
François Pargny