Le compte à rebours est lancé. En validant, lundi 13 mars, le texte relatif au déclenchement du ‘Brexit’, les députés britanniques ont laissé à Theresa May les mains libres pour activer – comme prévu, d’ici la fin mars – l’article 50 du traité de l’Union européenne (UE), première étape des pourparlers de divorce entre Londres et Bruxelles. En fait un saut dans l’inconnu pour les deux camps autour de la table des négociations.
Pour les Européens par exemple, le départ des Britanniques entraînera une perte sèche dans le budget commun. Deuxième contributeur net après l’Allemagne, au coude à coude avec la France, le Royaume-Uni ne versera plus ses 11 milliards d’euros au pot commun. Mais à l’inverse, la note s’annonce salée pour Londres. Les Britanniques ne toucheront plus non plus les 8 milliards de subvention octroyées par Bruxelles.
Selon différentes sources européennes, Bruxelles pourrait en outre exiger jusqu’à 60 milliards d’euros aux Britanniques pour solde de tout compte. Un montant qui correspond aux engagements déjà pris par Londres en termes de contribution au budget de l’UE. Certains responsables outre Manche ont déjà averti que cette enveloppe était exagérément « gonflée », menaçant de ne pas régler la facture si aucun accord n’était trouvé à l’issue des deux années de négociation, prévue dans les traités. Le Royaume-Uni est une « nation qui honore ses obligations », a rétorqué dimanche 12 mars le ministre des Finances britannique, Philip Hammond, à la BBC.
Un processus en deux étapes
« C’est maintenant que les choses sérieuses vont débuter », commente pour sa part un collaborateur de Michel Barnier, le ‘Monsieur Brexit’ de la Commission européenne. Car depuis son adhésion à l’UE en 1973, le Royaume-Uni a développé des relations très fortes avec le continent et ce dans de multiples domaines. Le détricotage de ces multiples liens représente un chantier titanesque qui risque bien sûr de laisser des traces d’un côté comme de l’autre.
Mais c’est bien la seconde étape du processus qui reste la source majeure d’inquiétudes tant à Londres qu’à Bruxelles. Car après la séparation des biens, les « ex conjoints » devront s’accorder sur leur relation future, en particulier dans les sphères économiques et commerciales. Selon des chiffres de 2015, l’UE reçoit 44 % des exportations britanniques et représente 53 % de ses importations. « La négociation d’un nouveau cadre réglementaire pour ces flux prendra des années et sera extrêmement fastidieuse, car le Royaume-Uni n’est pas seul autour de la table de négociation. Il lui sera difficile de diversifier son commerce international dans un court laps de temps », s’inquiétait Sir Ivan Rogers, l’ancien ambassadeur britannique à Bruxelles.
Mais la Première ministre britannique a rappelé à plusieurs reprises qu’elle préférait « pas d’accord » à un « mauvais accord » avec Bruxelles. Interrogé sur le scénario d’une absence de pacte commercial entre Londres et Bruxelles, son ministre des Finances a affirmé que, dans ce cas, le Royaume-Uni se « battrait » et « ferait tout le nécessaire pour rendre l’économie britannique compétitive ».
Un document confidentiel du ministère des Finances plus alarmiste
Cette sérénité serait de façade, selon The Independent. Dans un article publié cette semaine, le quotidien plutôt europhile révèle les grands enseignements d’un document confidentiel du ministère des Finances qui analyse les conséquences d’un retour aux règles de l’OMC faute d’accord avec l’UE. Un « Brexit dur » causerait « un choc économique majeur (…) Cette alternative à l’adhésion, la pire des options, aurait les effets les plus désastreux sur le long terme », estiment les experts.
Ce document de 36 pages utilise une rhétorique bien plus alarmiste que celle d’usage dans les discours officiels. Car la mise en œuvre des taxes prévues par l’OMC impactera les « citoyens, les emplois et risquent d’entraîner une hausse des denrées alimentaires ». Le commerce britannique sera également soumis à de nouvelles taxes dans les 53 pays avec lesquels l’UE a conclu des accords de libre-échange. Les exportations alimentaires du pays se verront en outre imposer des droits de 14, 4 % en moyenne et les produits non-agricoles de 4,3 %. « Le Royaume-Uni aura un accès au marché unique plus limité que le Pakistan, le Rwanda ou le Yémen », précise le document, ajoutant que l’UE régira ses échanges avec la Grande-Bretagne selon les mêmes règles actuellement en vigueur avec la Chine, c’est à dire sans accès préférentiel.
Dans le secteur services, qui représente 80 % de l’économie britannique, les règles de l’OMC « sont souvent dépassées et basées sur des engagements conclus entre ses membres il y a plus de 20 ans ». Même impact sur les consommateurs. Les utilisateurs de téléphone portable, par exemple, ne pourront plus bénéficier de l’annulation des frais d’itinérance prévue en juin prochain. Ils ne pourront plus réclamer des compensations européennes en cas de retards ou d’annulations des vols, ou lorsqu’ils effectuent des achats en ligne dans un autre pays de l’UE, comme le prévoient les réglementations européennes.
Ces conclusions qui ont récemment fuité dans la presse ont bien sûr été contestées par les partisans du ‘Brexit’. Pour ces derniers, les prédictions alarmantes d’une crise économique sévère à l’issue du référendum ne se sont pas vérifiées. Les prévisions de croissance ont même été revues à la hausse pour 2017. Mais c’est sur le plus long terme que les choses pourraient se corser craignent les détracteurs du ‘Brexit’. Soutenus par la sphère entrepreneuriale ils continuent à faire pression sur le gouvernement pour qu’un maintien au sein du marché unique ne soit pas automatiquement écarté par les négociateurs britanniques lorsque les pourparlers débuteront, probablement dans le courant du mois d’avril.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
Royaume-Uni / UE : l’addition du « Brexit » risque d’être « salée » pour Londres