La récente trêve entre les États-Unis et la Chine n’y change rien, le protectionnisme a de beaux jours devant lui. Lors du colloque Risques pays Coface 2020, le chef économiste de l’assureur crédit, Julien Marcilly (notre photo), ne s’est pas montré très optimiste sur les perpectives des échanges mondiaux.
« L’incertitude sur le ralentissement économique est élevée, ce qui n’est pas tout à fait nouveau, mais aujourd’hui elle est liée au commerce international », a-t-il relevé devant un parterre de quelque 1 200 acteurs économiques de tous horizons rassemblés au Carrousel du Louvre.
La matinée (après l’intervention de John Bercow, président de la Chambre des communes du Royaume-Uni de 2009 à 2019) était consacrée aux États-Unis et à la Chine, justement, les principaux acteurs d’une guerre commerciale enclenchée après l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Et les débats ont mis en lumière quelques surprises.
Première surprise, selon Julien Marcilly, ces deux pays ne sont responsables que de 23 % des mesures protectionnistes dans le monde, alors que celles-ci ont globalement dépassé les 1 000 en 2018 et 2019, soit environ 40 % de plus que les trois années précédentes. Même si leur part relative a augmenté (elle n’était que de 16 % en 2015 et 2016), d’autres pays ont contribué notablement à cette inflation de mesures protectionnistes, en particulier de grands émergents comme le Brésil et l’Inde.
« On est passé à un protectionnisme de sévérité »
Deuxième surprise, une seule mesure sur six a concerné les droits de douane, pourtant l’arme privilégiée de Donald Trump, d’autres dispositifs protecteurs étant mis en place, comme les subventions, les quotas ou la baisse des taxes pour les entreprises locales.
Troisième surprise, la gamme des biens n’a pas varié, ce sont toujours les mêmes qui sont touchés. « On est ainsi passé à un protectionnisme de sévérité, il est plus massif et fait plus mal », a confirmé Julien Marcilly.
Coface estime que les incertitudes liées au commerce international ont coûté trois quarts de point de pourcentage à l’économie mondiale en 2019, accélérant son ralentissement. En conséquence, après + 3,3 % en 2017 et + 3,2 % en 2018, le produit intérieur brut (PIB) de la planète a progressé de seulement 2,5 % l’an dernier.
Le ralentissement économique devrait se poursuivre en 2020, avec seulement + 2,4 % de croissance globale. En particulier, selon Coface, la croissance du PIB devrait baisser de + 2,3 % en 2019 à + 1,3 % cette année aux États-Unis et de + 6,1 % à + 5,8 % en Chine.
L’Asie, première victime de la guerre commerciale
« Pour la première fois en dix ans, le commerce mondial a diminué en volume [- 0,3 % au troisième trimestre 2019 en glissement annuel ; + 0,8 % prévu en 2020, NDLR], mais ce ne sont pas ces deux nations, qui ont le plus souffert. La guerre commerciale a frappé d’abord l’Asie hors Chine par effet de contagion des mesures des États-Unis contre la puissance asiatique », a expliqué Julien Marcilly.
Or, la guerre commerciale entre les deux géants mondiaux a toutes les chances de perdurer dans le futur. L’accord dit de « première phase » ne va pas mettre fin aux tensions, protostique Julien de Marcilly. Une première raison peut être évoquée, liée à l’actualité du nouveau coronavirus (nCoV) apparu en Chine en décembre 2019, dont on commence à peine à mesurer les conséquences économiques importantes : non seulement les exportations du pays risquent d’être bloquées, mais il pourrait aussi réduire ses importations, si le pouvoir d’achat s’effritait.
Dans un contexte de protectionnisme, ce serait aussi une mauvaise nouvelle pour le président américain, dans la mesure où il n’a pu jusqu’à présent tenir sa promesse de réduire le déficit commercial de son pays hors énergie. Certes, il a diminué avec la Chine, mais les gains enregistrés ont été grignotés par d’autres acteurs. Au final, s’il y a eu des perdants du bras de fer entre Pékin et Washington, il y a eu aussi deux gagnants : Vietnam et Mexique.
Un risque de guerre commerciale UE-États-Unis
Les tensions vont également persister car les vrais motifs, notamment les généreuses subventions de la Chine à son industrie, n’ont pas disparu et n’ont pas été traités dans l’accord de trêve. Couplé au fait que la majeure partie des droits douane instaurés par les deux géants mondiaux sont toujours en place, deux secteurs, plus particulièrement, seront toujours lourdement frappés : l’agroalimentaire et les technologies de l’information et la communication (TIC).
Enfin, il n’est pas exclu qu’un accord Chine-États-Unis, excluant de facto l’Union européenne (UE), ne soit pas considéré comme non-conforme par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Sur fonds de tensions et de menaces réitérées de Donald Trump à son encontre, l’UE pourrait être tentée par un recours à l’OMC.
Obnubilé par le déficit commercial avec l’Allemagne, le président américain pourrait aussi imposer des droits de douane au secteur automobile européen. Une escalade avec l’UE, après celle avec la Chine, ne peut donc être exclue.
François Pargny