L’agroalimentaire est la première victime depuis un an de la guerre commerciale entre Pékin et Washington. « Donald Trump a décidé de s’attaquer au déficit commercial américain de 419 milliards de dollars en 2018 avec la Chine et au grand plan de développement technologique Made in China. Aujourd’hui, tout laisse penser que les tensions vont perdurer », a affirmé Sarah N’Sondé, responsable de l’Analyse sectorielle à Coface et co-auteure de l’étude « Global outlook for the agri-food secteur within a protectionnist environment » (voir en fichier joint ci-dessous), présentée le 17 octobre à Paris, à l’occasion d’une conférence sur les risques mondiaux à six mois.
Coface estime que dans l’agroalimentaire le risque est élevé aux États-Unis et moyen en Chine. Les deux premières puissances économiques mondiales ont des profils différents. La Chine, avec un réservoir de population considérable – 1,4 milliard d’habitants – et une classe moyenne en expansion, produit et consomme des denrées agricoles. Les États-Unis exportent, pour leur part, des produits de base comme le soja, le blé, le maïs, « en particulier, du soja pour l’alimentation humaine et animale, par exemple pour les porcs », soulignait Sarah N’Sondé.
La baisse des cours du soja
Le bras de fer entre les deux géants a pour conséquence une forte volatilité des matières premières. « Récemment, rappelle-t-on chez l’assureur crédit, les autorités chinoises ont pris des mesures pour interdire toutes les importations agroalimentaires en provenance des États-Unis, en réponse à l’augmentation des droits de douane annoncée par le gouvernement Trump ».
Coface prévoit ainsi que le cours du soja va continuer à baisser. « On devrait arriver à un prix de 8,35 dollars le boisseau, soit une baisse de 9 % cette année. Et la tendance devrait continuer en 2020 avec – 0,3 % », rapportait Erwan Madelénat, économiste sectoriel et data scientist spécialisé dans l’agroalimentaire, également co-auteur de l’étude de Coface. En cause, non seulement les tensions entre les deux Grands, mais aussi la peste porcine africaine (PPA) qui a conduit les producteurs chinois à abattre une grande partie de leur cheptel et à réduire leurs achats de soja pour nourrir leurs animaux.
Les nouvelles routes de l’exportation
« En plus, la récolte de soja des États-Unis a été décevante, avec une baisse de 6 % par rapport à la précédente », remarquait Erwan Madelénat. En principe, d’autres grands fournisseurs de soja devraient pouvoir abattre leur carte, en l’occurrence le Brésil et l’Argentine. Mais, selon Sarah N’Sondé, « la réponse est mitigée », en raison justement de la baisse des cours à l’export et des difficultés bien connues de ces pays en matière d’infrastructures.
Ainsi, au 7 mars dernier, les revenus des ventes de soja du Brésil à l’international avaient baissé de 20 % en glissement annuel. Et donc « il faudra voir sur le long terme », avançait prudemment l’analyste de Coface. Parallèlement, les consommateurs chinois devraient se tourner plus vers la volaille et le bœuf, ce qui devrait aussi profiter à l’Argentine et au Brésil.
Dans toute l’Amérique latine, Coface juge que le risque d’impayés est élevé. C’est le cas au Chili, au Mexique, comme au Brésil et en Argentine. Le Brésil du fait de son déficit d’infrastructures, l’Argentine parce que le contexte économique y est difficile et que le pays a subi une sécheresse sévère en 2018.
Risque moyen en Europe
Le risque serait aussi élevé en Turquie, en Italie, au Royaume-Uni, en Australie et en Afrique du Sud. « L’Italie, pour laquelle l’agroalimentaire contribue à 12 % du produit intérieur brut, exporte moins, notamment vers l’Allemagne. Mais globalement, commentait Sarah N’Sondé, l’Europe affiche un risque moyen, notamment parce que la France et l’Allemagne se portent bien ».
A l’échelle planétaire, seuls deux pays bénéficient d’une évaluation risque pays faible : Autriche et Russie. Dans le premier, l’économie est robuste, le pouvoir d’achat soutenu, la distribution se porte bien. En Russie, l’agroalimentaire a bénéficié de subventions publiques, notamment les filières du lait et de l’élevage.
François Pargny