En France, jamais autant de précautions et de garde-fous n’auront été mis en place pour gagner la bataille de la ratification du CETA / AECG au-delà du camp présidentiel et dans l’opinion. Le traité avec le Canada sera à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des traités commerciaux internationaux de l’Union européenne (UE).
Objectif : convaincre que ce traité de dernière génération ne porte pas atteinte aux normes environnementales –Accord de Paris sur le climat inclus-, sanitaires ou sociales, ni ne menace les productions agricoles sensibles.
Le projet de Loi de ratification du CETA, adopté en conseil des ministres le 3 juillet, doit être soumis au vote des députés le 17 juillet. Cette ratification permettrait d’achever le processus de mise en œuvre de ce traité de libre-échange et de coopération économique dans sa globalité, incluant le volet sur les investissements.
Seul le volet commercial, de la compétence exclusive de la Commission européenne, est en effet en vigueur depuis le 21 septembre 2017. Reste à ratifier l’ensemble de l’accord ainsi que l’accord de partenariat stratégique qui l’accompagne.
« Nous accusons réception de la crise de confiance »
« Nous accusons réception de la crise de confiance » qui a résulté des anciennes pratiques de « non-transparence » et de « non-partage d’informations », a assuré le 9 juillet le député (LREM) Jacques Maire, rapporteur du projet de Loi de ratification du CETA (Comprehensive économic and trade Agreement), en français AECG pour Accord économique et commercial global. « Les débats n’ont pas cessé depuis l’été 2017 », a encore assuré le député des Hauts-de-Seine, Vice-président de la commission des Affaires étrangères.
Argumentaire à l’appui, Jacques Maire a énuméré ses arguments ‘pour’, avec ses collègues Liliana Tanguy, responsable du texte, et Marie Lebec, rapporteur pour avis, lors d’une conférence de presse organisée au nom du groupe parlementaire LREM (La République en Marche) quelques minutes avant que le projet de Loi ne soit examiné en commissions des Affaires économiques et des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
Et de rappeler que 17 des 25 recommandations formulées par les députés à la suite de la publication du rapport Schubert, commandé par Emmanuel Macron peu après son élection pour évaluer l’impact du traité, avaient été intégrées au « plan d’action CETA » mis en place le 25 octobre 2017 par le gouvernement pour assurer une application exemplaire de cet accord de libre-échange.
Une batterie d’instruments visant à garantir une mise en œuvre transparente, sous le contrôle du Parlement français, a été créée dans la foulée : tableau de suivi, comité de suivi de la politique commerciale trimestriel, rapport du ministre à la commission des Affaires étrangères avant et après chaque Conseil commerce, création par le CEPII d’un modèle de suivi de l’impact environnemental qui pourra être utilisé pour d’autres accords…
Un impact commercial positif pour la France
Il va de soi que l’évaluation des premiers impacts de ce traité sur le plan commercial vont influer sur le vote de l’Assemblée. Ils sont, à ce stade, nettement positifs pour l’Europe et la France, comme le démontre, chiffres à l’appui, le rapport pour avis présenté par Marie Lebec, qui s’appuie sur une étude d’impact et différents rapports d’inspection*.
Les exportations françaises vers le Canada ont progressé de 6,5 % en 2018, avec de belles percées pour certains produits ayant bénéficié de l’augmentation des contingents à taux zéro tels que le fromage (+19 %) ou de la suppression des droits de douane comme pour les vins (+ 12 %). Les importations en provenance du Canada ont, elles, baissé de 6,6 %. Résultat : l’excédent commercial bilatéral a bondi de 50 à 400 millions d’euros (M EUR).
Pour les filières agricoles sensibles –viandes bovines et porcines (la volaille étant exclue de l’accord), sucre, éthanol-, le bilan est également rassurant, car il n’y a pas eu de vague d’importation. Seulement 119 tonnes équivalent carcasse (téc) importées pour la viande bovine (dont 12 sous contingent), 28 téc pour la viande porcine, 10 M EUR pour le sucre et 14 M EUR pour les produits sucrés, 2 t d’éthanol… Pas de quoi bouleverser l’état du marché, chacun de ces produits représentant moins de 0,1 % de la consommation française.
Dans l’élevage bovin, avec seulement 36 fermes canadiennes (sur 70 000) agréées par l’UE, c’est-à dire garantissant des bêtes élevées sans hormones de croissance, sans antibiotiques à usage autre que thérapeutique (dits « activateurs de croissance »), et sans nourriture OGM, les producteurs canadiens peinent à utiliser leur nouveau contingent d’exportation vers l’UE (19 440 téc pour 2018, dont 14440 pour la viande fraîche et 5000 pour le congelée).
Ils n’en ont utilisé que 2,5 % pour la viande fraîche et congelée sur les 11 premiers mois de 2018 et aucun signe de naissance d’une nouvelle filière dédiée à l’export vers l’UE n’a encore été détecté.
Lancé sous Sarkozy, validé sous Hollande
Mais ces premiers résultats ne suffiront pas à rallier les soutiens au-delà du groupe majoritaire LREM pour le vote de ratification du CETA alors que les anti-CETA n’ont pas désarmé.
Alors dans le camp présidentiel, la mobilisation pour emporter l’adhésion d’un maximum de députés dans l’opposition, notamment du côté des Républicains et des socialistes, est totale. « Nous espérons de leur part un soutien », a déclaré Marie Lebec, rappelant que les négociations du CETA avaient commencé « sous le président Sarkozy » avant de s’achever « sous le président Hollande », qui en avait validé l’équilibre entre « ouverture » et préservation des « principes ».
La bataille est en effet également celle de l’opinion, avec des enjeux qui vont au-delà du commerce, touchant à la défense de l’environnement et aux objectifs de lutte contre le changement climatique. Là encore, le camp présidentiel a affûté ses arguments.
Ainsi, sur le fait que le traité avec le Canada ignore l’Accord de Paris sur le climat : certes il ne le mentionne pas (car cet accord n’était pas encore ratifié au moment de la signature du CETA), mais l’Accord de Paris est explicitement cité dans la déclaration interprétative conjointe signée par l’UE et le Canada en octobre 2016, contraignante pour les signataires.
Accord canadien pour le « veto climatique »
Autre sujet polémique : le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États, qui pourrait porter atteinte au pouvoir de régulation des États.
Le jour même de l’examen en commissions parlementaires du projet de Loi de ratification, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a rendu public une lettre de Jim Carr, son homologue canadien, datée du 8 juillet. Cette lettre confirme l’accord canadien pour la mise en place d’un mécanisme dit de « veto climatique » dans ce système de règlement des différends investisseurs-États.
Ce système de « veto », que la France a porté au niveau européen, doit être adopté par le Comité mixte du CETA /AECG, de niveau ministériel, sans doute à l’automne. Il consiste à graver dans le marbre le « droit à réguler » des États, en en faisant une « directive contraignante d’interprétation » imposée aux juges.
Objectif : éviter qu’une entreprise n’attaque un État pour une réglementation contraignante en matière environnementale ou sanitaire – Jacques Maire a donné l’exemple des paquets de cigarettes neutres- au motif qu’elle nuit à son activité. L’État attaqué pourra bloquer cette plainte auprès du tribunal de l’investissement. De quoi dissuader les impétrants.
En outre, plus question d’arbitrage privé pour régler les différends investisseurs-États : ils seront gérés par un « tribunal de l’investissement », composé de juges professionnels. Le nouveau système a été validé juridiquement par le Conseil constitutionnel français (31 juillet 2017) et à la Cour de justice européenne (30 avril 2019). De quoi taire les craintes des nombreuses voix critiques qui avaient dénoncé les risques de dérive d’un système d’arbitrage privé.
Reste qu’il faudra convaincre au-delà du camp présidentiel pour renforcer la position française au sein de l’Europe sur les questions commerciales. Cette bataille n’est pas gagnée. Le libre-échange n’a pas bonne presse dans l’opinion française alors que l’annonce surprise par la Commission européenne, le 28 juin, de la conclusion d’un accord UE / Mercosur –pour l’instant un simple accord politique- est venu brouiller la donne en réveillant de vieilles méfiances, jusque dans le camp présidentiel.
Christine Gilguy
*Le projet de texte du rapport pour avis présenté le 9 juillet en commissions des Affaires économiques et des Affaires étrangères est dans le document Pdf attaché à cet article.