Vice-présidents de la commission des Finances de la Haute Assemblée, Fabienne Keller et Yvon Collin ne désarment pas. Après l’abandon des scenarii d’adossement de l’Agence française de développement (AFD) à la Caisse des dépôts (CDC), les deux sénateurs rapporteurs spéciaux de la mission Aide publique au développement (APD) ont bien l’intention de faire entendre leurs petites voix discordantes. Leur rapport, intitulé « Pour un rapprochement ambitieux de l’Agence française de développement et de la Caisse des dépôts », sera publié vendredi 8 avril, ont indiqué, au Palais du Luxembourg le 6 avril devant la presse, Fabienne Keller, élue du parti des Républicains (LR) dans le Bas-Rhin, et Yvon Collin, sénateur du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) dans le Tarn-et-Garonne. Le plus dur sera sans doute de faire partager leurs positions par leurs collègues, mais aussi les députés et, sans doute, encore plus par un exécutif qui a remisé tour à tour des projets de filialisation et d’intégration de l’AFD au bénéfice de la CDC.
Le premier scénario a été rejeté à la demande de la Caisse des dépôts, inquiète de devoir verser 1,4 milliard d’euros pour prendre le contrôle de l’AFD (à hauteur de 50 %), dont la valeur a été estimée à 2,824 milliards par le Trésor, et surtout de devoir gérer un actif avec une rentabilité « naturellement basse » pouvant nuire à son modèle d’« investisseur avisé ». Bercy, de son côté, voyait d’un mauvais œil lui échapper la tutelle opérationnelle de l’AFD, puisque la CDC est un établissement public sous contrôle du Parlement. « Pour les députés et les sénateurs, la Caisse des dépôts est comme une vache sacrée, un symbole fort », a précisé Yvon Collin. Enfin, un troisième point qui a été soulevé par les ONG et qui peut être relié aux deux précédents, est que la financiarisation de l’AFD risquait de sonner le glas de l’activité dons, qui ne cesse de baisser en tendance depuis des années dans les engagements de l’agence au profit des prêts.
Instrument pivot de la coopération française, l’agence a-t-elle joué de cette menace pour accentuer l’opposition de Bercy à un projet de rapprochement, pourtant, annoncé par le président de la République en personne, pendant la conférence des ambassadeurs en septembre dernier ? Toujours est-il que, lors de la présentation du bilan 2015 de l’AFD, le 31 mars, sa directrice générale, Anne Paugam, répondant à une question de la Lettre confidentielle sur la position des organisations non gouvernementales (ONG), a répondu qu’elle souhaitait que « l’enveloppe des dons soit la plus élevée possible ». Dans la foulée, elle se félicitait« qu’après plusieurs années de baisse elle soit à nouveau en hausse », tout en reconnaissant la nécessité dans les années à venir « de trouver un équilibre entre l’augmentation des dons et celle des prêts ».
Le scénario de la filialisation rejeté
Le premier scénario retoqué, un nouveau schéma de rapprochement a été demandé à Rémy Rioux, le secrétaire général adjoint du Maedi (ministère des Affaires étrangères et du développement international), qui a ainsi proposé de transformer l’agence en une société de financement, devenant une « section » à l’intérieur de la CDC. Nombre d’observateurs pensaient alors que Rémy Rioux prendrait la tête de la nouvelle structure sans lien capitalistique avec la CDC, entraînant de facto l’éviction d’Anne Paugam. Mais cette initiative a aussi capoté, Bercy voyant d’un mauvais œil l’arrivée de l’ancien chef de cabinet de Pierre Moscovici, quand ce dernier était ministre de l’Économie.
Dans ce contexte, c’est un rapprochement minima qu’a évoqué Anne Paugam,« Bercy et le Quai d’Orsay étant finalement arrivés à un gentleman agreement », selon une source interne à l’AFD . A la LC qui lui faisait remarquer qu’elle devait être « soulagée de ne pas tomber sous la coupe de la Caisse des dépôts », la dirigeante de l’agence a répondu, lors de la conférence de presse le 31 mars, qu’il « n’en avait jamais été question » et que « l’idée » avait « toujours été que l’AFD garde son indépendance, en lien avec l’exécutif » et en relation avec les ministères dont elle dépend : Outre-mer, Finances et comptes publics, Affaires étrangères et développement international.
Selon l’actuelle patronne de l’AFD, lors du prochain Comité interministériel pour la coopération et le développement (Cicid), devant se tenir en été (peut-être en juillet), les deux institutions devraient signer une convention de partenariat pour dégager les domaines de coopération qui seront « le climat, la ville durable ou encore les liens avec les collectivités locales ».
Une approche insuffisante pour Fabienne Keller et Yvon Collin, pour qui la seule solution est de constituer une KfW à la française, c’est-à-dire un établissement « puissant », capable autant « d’accompagner les entreprises, de faire de la coopération et du solaire ». Fabienne Keller donnait ainsi l’exemple d’un projet de métro aérien en Inde, dont une petite partie du projet avait été financée par l’AFD, mais « dont le reste, la plus grande part, lui avait ensuite échappé au profit de la KfW, faute de moyens financiers ».
Il faut « une gestion opérationnelle commune »
Les deux sénateurs ne croient pas que se simples conventions de partenariat puissent accoucher d’une force de frappe suffisante. « Certes, au sein de la KfW, il y a des dissensions fortes sur certains projets, mais ils savent s’entendre », a souligné Yvon Collin. En France, le consensus n’étant pas la norme, il faudrait un véritable « choc culturel », sans doute inenvisageable à l’heure actuelle. C’est pourquoi les deux rapporteurs de la mission APD du Sénat estiment qu’il faut un lien hiérarchique entre les deux organismes.
Reprenant le scénario de la « section », ils préconisent, néanmoins, une modification majeure par rapport au projet de Rémy Rioux. « Il ne faut plus un système de gouvernance croisée, mais une gestion opérationnelle commune », a insisté la sénatrice, avec un patron, qui doit être « le directeur général de CDC qui aurait autorité sur le personnel ». « L’État, évidemment, continuerait à définir les orientations de l’APD, a encore complété Fabienne Keller. Il se prononcerait sur chaque projet et assumerait la responsabilité en cas d’échec ».
Ce choix pour « maximiser les synergies » entre les deux organismes est ainsi résumé dans le rapport sénatorial : « l’intégration de l’AFD sous forme de section à l’établissement public Caisse des dépôt et consignations, à condition de mettre en place une gouvernance sui generis qui concilie la nécessité d’une direction opérationnelle par la Caisse et son directeur général avec la nécessaire capacité de l’Etat à définir la politique d’APD et son cadre d’intervention, ainsi qu’à donner son accord sur chaque projet ».
Quel calendrier… cet été, avec le Cicid, la loi, le collectif budgétaire ?
Le plus difficile reste sans doute à faire pour les deux sénateurs, qui demandent la mise en place de groupes de travail et de réunions régulières des comités de direction de l’agence et de l’établissement public. Mais s’agissant des moyens et du calendrier pour faire passer leurs propositions, Fabienne Keller et Yvon Collin sont restés évasifs.
Pour Fabienne Keller, l’échéance du prochain Cicid évoquée par la directrice générale n’est pas satisfaisante. La sénatrice a observé que les deux organismes pouvaient déjà entamer un travail en commun très rapidement, puisque la CDC était à l’initiative d’un fond de 500 millions d’euros en faveur du développement d’infrastructures. Mais ni elle, ni son collègue n’ont évoqué, de façon précise, la possibilité de passer par la loi Sapin II « sur la transparence de la vie économique », qui est en ce moment entre les mains des députés – des amendements pourraient être proposés lorsque le texte arrivera en lecture au Sénat – ou le prochain collectif budgétaire qui pourrait être envisagé avant la trêve estivale.
François Pargny
Pour prolonger :
– Aide au développement / International : l’AFD vers de nouveaux sommets d’engagements
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– Aide au développement : François Hollande confirme le rapprochement AFD