Le constat d’une montée du protectionnisme n’est pas nouveau. Mais à l’heure du bras de fer commercial entre Washington et Pékin, le think tank La Fabrique de l’Industrie s’est penché fort opportunément sur les répercussions d’une hausse des barrières au commerce dans un ouvrage intitulée « La France est-elle exposée au risque protectionniste ? ».
Présenté le 2 octobre au Club du Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), cet ouvrage de plus de 70 pages sort au moment où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vient de réviser sa prévision de croissance des échanges de biens, de 2,6 % à 1,2 % en 2019. Or, selon l’OMC, ce serait l’Amérique du Nord et l’Asie qui trinqueraient (la croissance de leur commerce pourrait tomber en Amérique du Nord de 4,3 % en 2018 à 1,5 % en 2019 et de 3,8 % à 1,8 % en Asie).
La France profite de l’intégration régionale
Le continent européen serait moins touché, ce que corrobore l’étude de la Fabrique de l’Industrie. La raison principale est que l’Union européenne (UE), et donc la France, est « une des régions les plus insérées dans les chaînes de valeur mondiale », constatait l’économiste Anne-Sophie Alsif, co-auteure de l’ouvrage.
En se fondant sur la base de données TiVA de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui offre des estimations à partir des tableaux nationaux – la dernière date disponible est 2015 – la Fabrique de l’Industrie a pu établir que « la valeur ajoutée importée depuis l’étranger comptait pour 9 % des exportations américaines, 17 % des exportations chinoises et 12 % des exportations extracommunautaires de l’Union européenne ».
Les États membres de l’UE sont ainsi relativement protégés. Et ce serait encore plus vrai s’agissant des grandes économies, comme la France et l’Allemagne, dont les intrants étrangers compteraient pour 21 % dans leurs exportations.
Les premiers signes de démondialisation
D’après La Fabrique de l’Industrie, il n’y aurait pas « une fois écartées les variations des prix des ressources énergétiques », de ralentissement de la mondialisation. Un constat qu’il faudrait, cependant, nuancer, estime Sébastien Miroudot, économiste senior à l’OCDE, car « depuis 2015, les prix des matières premières énergétiques ont remonté et la guerre commerciale entre Washington et Pékin est déclarée ».
Selon lui, « il y aurait des signes de démondialisation. Les entreprises veulent utiliser moins d’intrants étrangers et la fragmentation est moins internationale ». Cela ne signifie pas, précisait-il, « que la fabrication est plus domestique et que les entreprises sont moins internationales », mais « que les chaînes de valeur sont plus courtes et la production se rapproche des lieux de consommation ».
S’agissant de la France, le protectionnisme actuel aurait peu d’impact. La guerre commerciale lui coûterait 0,2 % de son produit intérieur brut (PIB) à court terme. Au demeurant, elle a profité du bras de fer entre la Chine et les États-Unis pour y accroître ses exportations.
Au-delà des chiffres, ce qui jette un trouble serait « l’impression que le monde est devenu imprévisible, que tout peut arriver », insistait Sébastien Miroudot. Or, non seulement « l’incertitude est difficile à quantifier », mais les règles et les situations sont nouvelles.
Ainsi, à l’instar des tensions entre le Japon et la Corée du Sud, « un conflit non commercial peut déboucher sur des luttes commerciales ». Ou, dans le cas du combat des deux géants mondiaux, les États-Unis ont choisi d’innover « en exerçant une pression commerciale pour mettre fin aux distorsions commerciales du capitalisme d’État chinois » tout en faisant fi de l’impact négatif de la guerre commerciale sur ses entreprises.
Le Brexit, priorité des Européens
Reste qu’à ce jour, la priorité de Paris comme des autres capitales européennes ne doit pas être « le combat des chefs », mais le Brexit, pointait Vincent Vicard, économiste au Cepii. Le départ du Royaume-Uni aura des répercussions sur les chaînes de valeur, prévenait-il, citant ainsi l’exemple de l’automobile. Tous les pays européens, France et Allemagne en tête, sont en pole position pour accueillir des délocalisations.
Tout récemment, Nissan annonçait qu’elle réexaminerait sa décision d’assembler le SUV Qashqai dans son usine de Sunderland, dans le nord de l’Angleterre, en cas de no deal entre le Royaume-Uni et l’UE.
« Avec l’affrontement Chine-États-Unis, on pourrait penser que l’Union européenne est la zone la plus attractive et rentable pour les investissements étrangers », glissait Anne-Sophie Alsif. Ce n’est pas forcément le cas, selon elle, dans la mesure où « on ne sait pas aujourd’hui ce que pourrait être l’impact du Brexit sur les chaînes de valeur mondiales». Un casse-tête pour tous les acteurs économiques.
La Chine, puissance qui veut rebattre les cartes
De son côté, la Chine se recentre sur son marché interne. « Cela ne veut pas dire qu’elle importe moins et qu’il y a moins d’entreprises étrangères chez elle. C’est une question de proportion. Les salaires y augmentant et donc le prix des produits, une plus grande importance est donnée aux fabrications locales », expliquait Sébastien Miroudot.
« La révolution industrielle et technologique permet de rebattre les cartes et la Chine l’a très bien compris avec son plan China 2025 qui doit lui permettre de dominer des secteurs stratégiques à l’horizon 2049 », soulignait Anne-Sophie Alsif. L’ex-Empire du Milieu est une puissance industrielle non coopérative, ce qui justifie aux yeux de Washington de lutter contre sa concurrence déloyale.
L’UE en panne d’une stratégie industrielle globale
Face aux géants commerciaux, industriels et technologiques, l’UE paraît démunie. « Créer des champions européens, certes, mais le risque est que tous les pays investissent dans les mêmes secteurs, comme l’intelligence artificielle et la voiture intelligente. Or, exposait Sébastien Miroudot, c’est la spécialisation, pas forcément dans des industries différentes, mais dans des segments différents, qui permet des gains de productivité et une montée en gamme ».
« Quelle spécialisation ? », s’interrogeait encore Anne-Sophie Alsif, faisant allusion au degré d’industrialisation très différent d’un pays à l’autre de l’UE. « On manque d’une force de frappe, on se concurrence plutôt que de développer une stratégie globale européenne face à la Chine et aux États-Unis ». Or, la valeur ajoutée chinoise contenue dans la demande finale manufacturière européenne ne cesse de croître. S’agissant de la France, elle est ainsi passée de 2,5 % à 6,9 % entre 2005 et 2015. Il est grand temps de réagir.
François Pargny