C’est une histoire dont l’Hexagone a le secret : il était une fois deux SSII brillantes, spécialisées dans les systèmes informatiques portuaires, l’une basée au Havre, Soget, l’autre à Marseille, MGI, et qui ont su, dans le passé, travailler en commun pour développer un seul Cargo Community System (CCS) portuaire de base , Ap+, sorte de « guichet unique portuaire électronique » aujourd’hui commun à quasi tous les ports français. Mais voilà, bien que leur actionnariat soit issu des communautés portuaires clientes, elles sont incapables aujourd’hui de réitérer la démarche, développant chacune dans leur coin leur propre système de CCS portuaire de nouvelle génération, le tout au moment où toutes les communautés portuaires d’Europe s’agitent pour gagner la bataille de la dématérialisation des formalités import/export et de la compétitivité en vue de l’arrivée du nouveau Code des douanes de l’Union (CDU)… A quelques jours de l’ouverture de l’édition 2016 de la Semaine internationale de la logistique et des transports, à Paris Nord Villepinte, cela fait un peu désordre dans la place logistique française !
Sauf qu’aujourd’hui, après s’être impatientés, les clients que sont les acteurs des communautés portuaires sont au bord de la crise de nerfs… « Nous avons une totale confiance dans le produit qui sera proposé au marché demain, mais notre souhait, c’est qu’il y en ait qu’un ! » assène fermement Herbert de Saint Simon, le président de TLF Overseas, organisation rattachée à l’Union TLF qui rassemble les organisateurs de transports internationaux. « Et quand je dis nous, c’est au nom de toute la communauté des acteurs portuaires qui utilisent les CCS : autorités portuaires, agents maritimes, douane, organisateurs de transports, armateurs, chargeurs… », ajoute cet ancien cadre dirigeant de Bolloré Transport & Logistics (BTL), dont il a été le Senior Vice-president jusqu’en 2015. TLF Overseas jouerait ainsi le rôle de porte-parole des utilisateurs dans ce dossier.
Après AP+, S)One contre Ci5
Car cela fait des mois que le mécontentement couve, que, poussées d’abord par l’administration –notamment le ministère des Transports- puis par leurs clients, les deux sociétés ont du se mettre autour d’une table pour voir comment accoucher d’une solution commune. Et de fait, la seule solution qu’elles ont dégagée après des mois de brainstorming, est un simple « portail » commun renvoyant ensuite à chacun des systèmes qui pourront ainsi continuer tranquillement à se livrer bataille sur le terrain commercial…
Celui de Soget s’appelle « S)One » : la SSII havraise a d’ailleurs pris quelques mois d’avance sur sa rivale marseillaise en le lançant début 2015. Celui de MGI s’appelle « Ci5 » : bien qu’ayant pris du retard, la société marseillaise a mis les bouchées doubles pour en dévoiler la maquette le 3 décembre, à l’occasion de ses 30 ans*. Le socle commun resterait AP+, mais chacune des SSII y a mis ses propres options techniques, l’une des principales différences étant que Soget a noué un partenariat avec Microsoft alors que MGI a préféré travailler sur une base « open sources« . Ayant chacune investi des millions d’euros dans le développement des nouveaux logiciels, étant sûre que son produit est le meilleur, aucune ne veut aujourd’hui lâcher prise…
« En toute modestie, il n’existe pas d’équivalent dans le monde », avait ainsi lancé Xavier Lasalle, président du conseil de surveillance de MGI, à la soirée de gala donnée pour son trentième anniversaire à Marseille, le 3 décembre… Son P-dg d’origine néerlandaise, Jaap Van den Hoogen, arrivé en renfort l’an dernier, n’en est pas moins convaincu, tout en avouant être quelque peu dérouté par cette situation de blocage très franco-française : « C’est peut être parce que je ne suis pas français, mais, dans certains pays on parle beaucoup moins et on avance beaucoup plus vite », nous confiait-il le même jour… Mais Soget, qui, contrairement à MGI, a exporté ses solutions à l’étranger –elle a notamment vendu S)One au port jamaïcain de Kingston début décembre**-, est tout aussi sûre de ses choix.
« Nous, nous voulons placer ce débat dans une relation client / fournisseur»
Alors ? Les discussions commencent tout juste, les utilisateurs des CCS ont bien l’intention de faire entendre leur voix et de peser de tout leur poids dans la balance. « Nous, nous voulons placer ce débat dans une relation client / fournisseur, fait valoir Hubert de Saint Simon, qui balaye tout autre point de vue d’un revers de la main et se prévaut de représenter les six catégories d’acteurs portuaires clients de ces systèmes. Car on marche un peu sur la tête : aujourd’hui on a un seul système de base, Ap+, certes ‘havrisé’ ou ‘marseillisé’. Et demain, on aurait deux systèmes ? C’est une très mauvaise solution ».
Et d’invoquer les solutions uniques développées dans d’autres pays comme le Royaume Uni, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas. Pourquoi ne pas en adopter une ? Sans compter le projet de plateforme collaborative lancé avec le soutien de l’Union européenne, à l’instar de Core TN T… « C’est un problème très franco-français, il faut repenser le sujet à une échelle internationale », estime Anne Sandretto, déléguée générale de TLF Overseas.
Au Havre comme à Marseille, saura-t-on trouver la voie d’un compromis… intelligent ça va sans dire ? Rien n’est moins sûr. « On en est au tout début des discussions, mais ce ne sera pas simple…», reconnaît Herbert de Saint Simon. A suivre…
Christine Gilguy
**Guichet unique portuaire : Soget décroche un contrat à la Jamaïque