Bpifrance est en première ligne pour aider les entreprises à faire face à la vague de chocs provoquée par la pandémie liée au coronavirus Covid-19 et préparer l’après-crise. Dans cet entretien exclusif, Pedro Novo, son directeur exécutif de l’export, tire les premières leçons de cette crise sur le plan stratégique, réaffirme l’ambition forte de la banque publique sur l’export, et dévoile un plan d’action pour 2020 qui concerne tout autant la prospection de nouvelles PME à fort potentiel export que l’amélioration des produits, notamment les crédits export de petit montant.
Le Moci. Quel est l’impact de la crise du coronavirus sur votre activité export ?
Pedro Novo. A court terme, nous avons, comme tout le monde, dû annuler ou reporter des opérations et des missions. Mais le plus important est l’impact qu’elle a sur la confiance des entreprises : celles-ci réduisent leurs plans d’investissement ou le décalent de 6 mois, ce qui a des conséquences financières immédiates pour de nombreux secteurs. Le secteur de l’événementiel en France, qui représente 300 000 emplois, par exemple, est fortement impacté comme le sont également les secteurs du tourisme, de la restauration ou des transports.
Nous suivons de prêt l’évolution de la situation en Chine où des signaux de reprise de l’activité commencent à se dessiner. Mais cela prendra du temps : la normalisation du trafic au port de Shanghai prendra 7 semaines pour le moins, le retour à la normale dans les usines chinoises mettra entre trois et six mois selon les filières. Il faudra donc attendre six mois pour que les supply chain retrouvent leur activité normale. Pour notre part, nous estimons en conséquence un impact sur les entreprises concernées par ces chocs entre 3 et 6 mois de BFR (besoin en fonds de roulement).
Face à cette situation d’urgence, le gouvernement a donné à Bpifrance les moyens d’aider les entreprises à affronter la vague, avec ses outils de garanties et de financement. Nous proposons notamment de garantir 70 % des prêts à court terme des banques et des lignes de transformation de prêts court terme et moyen terme. Nous adoptons en outre une attitude compréhensive, au cas par cas, concernant nos propres clients débiteurs faisant face à des tensions sur leurs remboursements. Un numéro vert (0 969 370 240) a été lancé dès le 10 mars pour faciliter l’accès à l’information en la matière.
« Cette crise … invite à penser avec humilité la manière de bien gérer les risques »
Le Moci. Quelle leçon tirer de cette crise pour les entreprises ?
P. N. Il est encore très tôt mais la première idée qui me vient à l’esprit est que cette crise sanitaire mondiale invite à penser avec humilité la manière de bien gérer les risques à l’international.
De nombreuses entreprises apprennent à leurs dépends que tout miser sur l’approvisionnement dans un seul pays et le « zéro stock » est très risqué, comme est très risqué le fait de dépendre trop fortement d’un seul marché à l’export. En outre, cette crise nous démontre qu’être uniquement implanté sur le marché français ne met pas à l’abri des ondes de chocs venus de l’extérieur… Autant de faits dont les entreprises devront tirer des leçons sur le plan stratégique.
Concernant Bpifrance, nous n’allons pas freiner nos ambitions : le développement international des entreprises, ce n’est pas du « one shot », c’est du long terme. A court terme, nous nous adaptons, comme tout le monde, aux nouvelles contraintes sanitaires en limitant les déplacements et les rencontres physiques et en recourant aux outils de communications à distance et de visioconférences. Après viendra le temps de la reconquête.
Le Moci. Comment préparer l’après-crise ?
P. N. C’est dans ces moments-là très émotionnels que nous devons promouvoir la raison et que l’on doit repenser sa stratégie. Les entreprises qui ont le plus de mal en ce moment sont celles qui n’ont pas de vision à 5 ans et agissent souvent en réaction de leur environnement. On résiste en effet un peu mieux lorsqu’on a construit autour de soi tout un écosystème de fournisseurs, partenaires, clients pour servir une stratégie de long terme, et avec lequel on peut mettre en place des solutions d’attente pour affronter ensemble et solidairement une telle crise.
La tentation du protectionnisme que l’on voit resurgir n’est pas une solution ; au contraire, pour nous, la globalisation est une réalité, reste une source de croissance pour les entreprises, même si nous sommes contraints d’en repenser le sens et le design.
Nous allons profiter de cette période pour réfléchir au contraire à la meilleure manière de préparer les entreprises à affronter de tels aléas. L’année 2020 va se dérouler en deux temps : au premier semestre, il s’agira d’apporter un soutien financier aux entreprises et de les aider à consolider leur situation ; au deuxième semestre, à l’heure de la reprise, il faudra leur proposer de quoi accélérer et repasser à l’offensive.
« Bpifrance a réussi à installer son modèle de banque française du commerce extérieur »
Le Moci. Que retenez-vous du bilan des activités export de Bpifrance pour l’année 2019 ?
P. N. En premier lieu, que Bpifrance a réussi à installer son modèle de banque française du commerce extérieur : financement et garanties publics sont proposés par le même opérateur, avec une culture « client-centrique », c’est-à-dire orientée sur la satisfaction des besoins concrets de l’entreprise.
Nous avons en outre intensifié la promotion et la diffusion de ces produits dans les territoires, au plus près des entreprises, grâce au maillage de nos directions régionales dans les régions. Bpifrance aujourd’hui, c’est 600 conseillers au service de la croissance des PME et ETI, dont 100 sur le seul sujet du développement export, des experts qui font du porte à porte pour faire connaître les différents outils aux dirigeants. Et nous le faisons avec les trois mêmes valeurs, les trois mêmes obsessions que pour nos autres activités : performance, résultat et impact.
La plupart des indicateurs sont au vert concernant la pénétration de nos produits auprès des PME. J’en veux pour preuve la progression de l’Assurance prospection : + 42 % en volume, avec 322 millions d’euros et 1 485 entreprises bénéficiaires en 2019. Autre indicateur positif, les garanties de préfinancement export et les cautions ont progressé de 6 %.
De même, si l’activité d’assurance-crédit export a baissé en volume, en raison de l’absence de certains grands contrats, le nombre de dossiers de PME et ETI a sensiblement augmenté, de sorte que nous avons équilibré le nombre de bénéficiaires entre cette catégorie d’entreprise et les grands groupes.
En outre, nous avons pris 500 millions de nouveaux engagements sur des contrats représentant près de 2 milliards d’euros d’exportations ; rien qu’au premier trimestre de cette année, nous aurons déjà mis en place 200 millions de nouveaux engagements. Notre ambition ne faiblit pas pour cette année : nous dépasserons le milliard d’euros mis en place en matière de crédit export depuis son lancement en 2016.
Assurance export : « nous avons clarifié ses priorités qui sont la simplification des procédures et leur régionalisation renforcée »
Le Moci. Comment se passent les relations entre Bpifrance financement et Bpifrance Assurance Export ?
P. N. Il est presque contre-intuitif de se poser la question. L’arrivée de François Lefèbvre à la direction de Bpifrance Assurance Export, nous a permis de confirmer nos ambitions croisées au service d’une obsession partagée : servir efficacement et faire gagner nos clients. Concrètement, Bpifrance est l’opérateur de l’État pour les soutiens financiers publics en termes de commerce extérieur pour les entrepreneurs. Elle doit tirer la même ambition, avec tout son écosystème, au service du public et au service du client.
C’est pourquoi nous avons clarifié ses priorités qui sont la simplification des procédures et leur régionalisation renforcée dans nos directions régionales. A cet égard, je me réjouis que nous soyons parvenus à installer un véritable effet de levier avec le secteur privé.
« Nous n’avons pas révisé à la baisse notre ambition, nous restons mobilisés »
Le Moci. La crise sanitaire ne contrarie-t-elle pas vos objectifs d’activité pour 2020 ?
P. N. Nous n’avons pas révisé à la baisse notre ambition, nous restons mobilisés, c’est le principal message que je souhaite faire passer aux entreprises, au-delà des chiffres.
Pour l’assurance prospection, dans le contexte actuel de discipline budgétaire, notre objectif est ainsi d’atteindre 1 500 contrats, tout en continuant à tenir les budgets. En crédit export, nous visons 500 millions d’euros et en prêts croissance international 600 millions. Nous visons 150 entreprises pour la GPE et 300 entreprises pour les opérations d’accompagnement à l’international.
L’année 2019 a été celle de la construction de notre écosystème, pleinement intégré au nouveau dispositif d’accompagnement public Team France Export ; 2020 sera celle de la réalisation stratégique, du management opérationnel et de l’impact.
Le bilan concret en termes de résultats chiffrés sera mesuré par les TFE régionale mais pour notre part, nous avons lancé un audit du dispositif d’accompagnement des 1 500 PME et ETI de croissance que nous avons mis en place depuis deux ans avec Business France afin de mettre au point un indicateur de performance de notre action qui démontrera la pertinence de cette action ayant inspiré la TFE et lancée en 2012.
Devenir « la banque française des entrepreneurs pour l’Afrique »
Le Moci. Quelles sont vos priorités stratégiques pour cette année ?
P. N. Nous avons quatre grandes ambitions.
La première est de maintenir une haute ambition en matière de prospection, notamment sur le volet africain. L’un de nos temps forts sera d’ailleurs le Sommet Afrique France de juin, lors duquel nous ferons plusieurs annonces que je réserve – mais je peux déjà vous dire que parmi celles-ci, il y aura le lancement d’un accélérateur franco-africain.
Nous voulons devenir la banque française des entrepreneurs pour l’Afrique et essayer de construire avec les autres opérateurs actifs sur ce continent, comme Business France ou l’AFD, une intelligence collective pour y accélérer le développement de nos entreprises.
Nous étendons par ailleurs notre réseau de partenaires, notamment grâce aux fonds d’investissement africains que nous soutenons. Bpifrance vient de lancer la levée de son 4ème fonds de fonds pour soutenir les start-ups, PME et ETI africaines, Averroès Africa. D’une taille cible de 100 à 150 millions d’euros, ce fonds de fonds permettra de soutenir 10 gestionnaires de fonds africains, et par leur biais, 150 sociétés réparties sur tout le continent.
Deuxième grande ambition : nous voulons être la banque du climat. Bpifrance a engagé 2 milliards d’euros rien qu’en 2019 sur des projets de production d’énergie renouvelable en France, nous allons nous mobiliser pour projeter ces savoir-faire à l’export grâce à des financements de projets liés. Dans ce domaine, mon modèle est le projet de centrale solaire en Argentine de Neon, que nous avons contribué à financer en assurance-crédit aux côtés d’autres acteurs publics et privés, un mix de ressource qui montre la voie de nouveaux paradigmes.
Nous réfléchissons également à des incitations susceptibles d’encourager les entreprises à s’orienter vers des projets « décarbonés ».
Crédit export : Tester une instruction unique pour les « petits tickets »
Troisième grande ambition : la digitalisation des procédures. Nous avons déjà bien avancé dans ce domaine, par exemple pour l’assurance prospection, mais nous voulons aller plus loin en digitalisant les procédures de demande de garantie de caution et de préfinancement.
La quatrième ambition est de parvenir à mettre au point une instruction unique pour les crédits export, en particulier de petit montant. Le crédit export est un outil caractérisé par la lourdeur et la longueur des procédures avec une profondeur documentaire complexe, que l’enjeu soit de 250 millions ou de 25 millions d’euros : c’est une caractéristique qui freine son usage pour les petits tickets, les banques sont les premières à dire qu’elles n’ont pas de solutions.
Notre projet est de faire en sorte que les demandes de garanties et les demandes de financement sur un même projet puissent faire l’objet d’une instruction unique sur certains aspects comme l’analyse de risque, les aspects administratifs, la collecte de documents de conformité ou les procédures KYC par exemple. Nous l’avons proposé à nos partenaires bancaires début février : ils nous ont donné leur feu vert pour tester cette solution dès cette année.
Encore une fois, nous sommes un banquier de place, il ne s’agit pas de détruire les règles de confidentialité qui existent entre l’assureur et la banque publique, il s’agit d’alléger la procédure sur un plan administratif pour permettre la prise de petits tickets. Je me réjouis qu’à cette occasion, les équipes de Bpifrance aient reçu une belle reconnaissance de leur capacité à se mobiliser pour faire gagner les savoir-faire français à l’export. C’est un positionnement qui ne se satisfait pas de la timidité.
Allemagne, Italie, Afrique : trois projets d’accélérateurs bilatéraux
Le Moci. Après avoir lancé l’accélérateur international l’an dernier avec Business France, Bpifrance lance des accélérateurs bilatéraux, à l’instar du franco-africain que vous avez mentionné. Pour quelle raison ?
P. N. Nous avons en effet lancé deux promotions de l’accélérateur international l’an dernier et une troisième et deux autres sont dans les tuyaux pour cette année. Et nous avons au total trois projets d’accélérateurs bilatéraux : un franco-allemand ; un accélérateur franco-italien, que nous lancerons dès que la situation sera revenue à la normale, et enfin un accélérateur franco-africain.
L’idée est, à travers ces programmes associant des chefs d’entreprises de chaque pays ou zone, de favoriser une meilleure connaissance mutuelle et les rapprochements entre eux autour de problématiques convergentes opérationnelles ou stratégiques. Dans le Mittelstand allemand, par exemple, l’image de la France est encore emprunt d’un romantisme qui ne correspond plus à sa réalité économique, qui est celle d’un vrai relais de croissance pour les entrepreneurs allemands.
Travailler avec ces deux pays européens et partenaires commerciaux majeurs que sont l’Allemagne et l’Italie, cela a d’autant plus de sens que l’Europe représente encore les deux tiers des débouchés de nos exportateurs et une partie non négligeable de notre déficit commercial, -18 milliards d’euros avec la seule Allemagne.
Pour l’Afrique, le projet est d’unir nos savoir-faire, avec l’AFD et Business France, pour mieux préparer les entreprises françaises à se projeter sur ce continent et à en faire un véritable relais de croissance. L’Afrique, où nous nous sommes renforcés en ouvrant un nouveau bureau à Nairobi et un autre bientôt à Dakar, est le continent prioritaire de notre feuille de route internationale en 2020.
Propos recueillis par Christine Gilguy