« Projetez-vous au-delà de l’Afrique francophone ! Les garanties et les financements de l’État français existent, l’Ouganda est ouvert à l’assurance crédit aux conditions normales », a souligné Pierre-Ange Savelli, adjoint au chef du bureau Afrique subsaharienne et Agence française de développement (AFD) au Trésor, lors d’un atelier d’information sur ce pays d’Afrique de l’Est, organisé par Business France, le 9 mars, à Paris.
Il est vrai que les échanges de marchandises avec la France sont réduits, quand « l’Inde et la Chine sont particulièrement présents », a relevé Hocine Mourchid, chef du Service économique de Kampala. L’an dernier, la France a exporté pour 60 millions d’euros de biens (médicaments…) en Ouganda, ce qui représentait une part de marché de 1 %. Une vingtaine de ses entreprises sont présentes dans ce pays anglophone de 38 millions d’habitants, qui devrait passer à 62 millions en 2030.
Élevage : développer une filière intégrée
Les pouvoirs publics dans l’Hexagone cherchent aujourd’hui à susciter une envie d’Afrique de l’Est au sein du secteur privé tricolore. Preuve en est la récente mission de Business France et Bpifrance au Kenya et en Ouganda, du 26 février au 2 mars, avec 13 PME et ETI de la French Fab’ *. « Ces sociétés ont été surprises. Celles, qui connaissaient déjà souvent le Kenya, se sont rendu compte qu’elles avaient sous-estimé le potentiel de l’Ouganda. Certaines y ont maintenant des projets, comme Sade dans le traitement des eaux », a relaté Isaline Merle d’Aubigné, responsable Développement export chez Bpifrance.
Politiquement stable, l’Ouganda affiche une croissance économique d’environ 5 % par an depuis 2008 et la patrie du président Yoweri Musevini, au pouvoir depuis 1986, envisage de devenir une nation à revenu intermédiaire à l’horizon 2020 (plus de 1 025 dollars par habitant de revenu).
Kampala s’est doté d’une vision à long terme, avec programme de développement Uganda Vision 2040, mais, en 2018, l’Ouganda est encore un des pays les plus pauvres du monde, avec un montant de 673 dollars par habitant et par an. « La classe moyenne y est encore insuffisante pour nos fromages et le vin n’y est pas dans la culture. En revanche, il y a de réelles opportunités pour une filière intégrée de l’élevage », a expliqué Philippe Beyries, conseiller agricole pour l’Afrique de l’Est, un poste créé l’an dernier, basé à Nairobi (Kenya).
Fin 2017, l’Adepta et le ministère ougandais de l’Élevage ont conclu un memorandum of understanding (MOU) pour aider le gouvernement à développer ce secteur de l’exploitation à l’équipement, en passant par les intrants. Des discussions sont notamment entamées sur la traçabilité des aliments afin de faciliter l’exportation ougandaise.
« Développer des filières intégrées, regrouper les producteurs, faire de la qualité, tel est notre message », a délivré Virginie Leroy-Saudubray, directeur du bureau de l’AFD en Ouganda, qui citait également la transformation de la volaille, les fruits et légumes, l’agroécologie, la valorisation du café et du thé ou encore des niches, tel que le miel, le chia « ou encore le riz », a ajouté François Giraudy, responsable sectoriel à l’agence publique à Paris.
Hydrocarbures : les retombées du grand projet Total
« Le président Museveni ne cesse de mettre en avant deux politiques, l’agriculture et l’énergie », a insisté l’ambassadrice de France en Ouganda, Stéphanie Rivoal. Le groupe Total est ainsi engagé dans un de ses plus gros chantiers sur la planète, représentant un investissement global de 15 milliards de dollars, don 3,55 milliards pour développer un pipeline long de 1 445 kilomètres entre l’Ouganda et la Tanzanie.
« La première goutte de pétrole devrait couler mi 2021 », a confirmé Jean-Yves Petit, représentant du groupe projet intégré chez Total E&P Ouganda. Toutefois, la validation d’une étude d’impact social et environnemental, confiée au français RSK Environnement – soit 2 000 pages – prend du retard. La réalisation du processus d’ingénierie et de conception a été confiée à la firme américaine Gulf Interstate Engineering (GIE).
« Depuis 18 mois que suis en Ouganda et comme je suis aussi conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF), nous faisons du French local content tous les jours, si bien que j’ai vu 700 entreprises, surtout françaises et ougandaises, et que c’est un défilé permanent dans mon bureau », a raconté encore Jean-Yves Petit.
Le potentiel de l’Ouganda serait de trois milliards de barils de pétrole. La tenue des délais du projet de Total paraît essentiel pour les recettes de l’État qui va devoir rembourser deux milliards de dollars de prêts accordés par la Chine pour la construction de deux grands barrages, Isimba (183 MW) construit par China International Water Electric Corporation, et Karuma (600 MW), que Sinohydro doit achever à la fin de l’année. Le consultant australien SMEC s’est vu confier la supervision de la construction de la centrale hydroélectrique d’Isimba et le cabinet français Artelia la conception.
Forte implication de l’AFD dans l’électricité et l’eau
Dans le cadre de la Vision 2040, le gouvernement a l’ambition de porter l’accès de la population à l’énergie de 14,8 % en 2014 à 80 % d’ici la fin du programme. L’Agence française de développement (AFD) est très impliquée sur tous les segments (production, transport…), avec, par exemple, le barrage du Bujagali et sa centrale de 250 mégawatts (MW), les lignes de transport Hoïma-Nkenda et d’électrification dans la même zone et de Masaka-Mbarara, le projet de la centrale de Muzizi (45,6 MW).
L’AFD est aussi très active dans l’eau et l’assainissement autour des grandes villes du lac Victoria pour un montant de 250 millions d’euros. Comme dans le cas du projet de Kampala-Victoria (Watsan), l’agence n’hésite pas à opérer avec d’autres bailleurs (BEI, KfW…). Selon Rémy Journet, membre de la direction internationale de Sade, « le taux d’accès à l’eau potable a explosé de 40 % depuis 2000, si bien qu’il est passé de 55 à 79 % en 2016 ». En revanche, il y aurait « un gros effort à faire en matière d’assainissement », qui ne serait, lui, passé que de 15 à 19 %. Fort heureusement, de nombreux projets devraient être réalisés dans les trois ans à venir représentant un potentiel de 500 millions d’euros dans l’eau et l’assainissement.
Outre l’AFD, la Banque mondiale est très active, avec 40 millions d’euros de projets. « Le problème, a observé Rémy Journet, est que c’est le moins disant qui est la règle et que la concurrence asiatique se révèle ainsi très forte ». La solution serait d’apporter des financements, d’apporter de la technologie avec un volet vert, ce qui est très apprécié des autorités ougandaises, et de jouer collectif des études à la réalisation.
BRL Ingénierie a, pour sa part, décidé de faire de l’Ouganda et du Kenya ses « deux bases régionales », a déclaré Isabelle Hubiche, responsable du Développement. L’entreprise française, qui répond à des appels d’offres, opère avec un bureau d’études local, auquel il transfère du savoir-faire et délivre de la formation.
De façon générale, conseille Business France, surtout si vous n’êtes pas implanté sur place, il faut s’appuyer sur un partenaire local. Et encore plus lorsqu’il s’agit d’un appel d’offre public, car la préférence nationale est appliquée. Les partenariats public-privé (PPP) sont aussi utilisés, a souligné Élisabeth Mugumya, Managing Partner de Capital Law Partners. C’est vrai dans l’eau, dans les routes ou dans l’électricité.
Il faut absolument éviter la corruption, ont insisté Rémy Journet et Paul Muganwa, Head Investment Banking à la Stanbic Bank Uganda. C’est un risque réel pour les entreprises et un frein pour l’économie de l’Ouganda. Dans le rapport de l’ONG Transparency International, ce pays d’Afrique de l’Est était classé au 151e rang sur 180 nations recensées, avec un indice de perception très faible, de 26 sur 100.
François Pargny
* France / Afrique de l’Est : opérateurs et patronat veulent réveiller l’appétit des entreprises
Pour prolonger :
-Ville durable / Export : la « task force » du Medef va tester « le chasser en meute » en Ouganda
-Medef / International : le Comité Afrique se prépare à l’après Gattaz
-Afrique / Export : quand l’AFD allie développement et appui aux sociétés françaises
–France / Afrique : Europe, jeunesse, diplomatie économique, trois priorités d’E. Macron
-Afrique / Sommet UE-UA : Medef International veut une Europe plus “pro-business”
Et aussi
– Rapport CIAN 2018 – Les entreprises internationales en Afrique
– Le Guide Moci « Où exporter en 2018 ? » avec plusieurs pays africains : Maroc, Égypte, Nigeria, Sénégal
Et nos articles sur le Forum Afrique 2018 Moci/Cian
-Forum Afrique Moci / Cian 2018 : la transition énergétique nécessite un mix de financements publics et privés
–Forum Afrique Moci / Cian 2018 : pourquoi le coût du risque diffère selon les pays
– Forum Afrique Moci / Cian 2018 : risques et opportunités de la lutte contre le réchauffement climatique
– Forum Afrique Moci / Cian 2018 : les grands secteurs porteurs de la transition énergétique