La nouvelle Commission européenne appuie Paris au sujet de la mise en place d’une taxe internationale sur les services numériques et la réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) face aux menaces de sanctions commerciales de Washington. Tel est le message délivré par Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie et des finances, et Phil Hogan, le commissaire européen en charge du Commerce, à l’issue d’une rencontre bilatérale le 7 janvier à Bercy.
Cette rencontre entre les deux responsables européens se déroulait au lendemain d’un « long entretien téléphonique » entre Bruno Le Maire et Steven Mnuchin, secrétaire d’État américain au Trésor, et alors que Phil Hogan doit se rendre la semaine prochaine à Washington.
C’est dire à quel point la séquence à Bercy, même si elle fut extrêmement courte – une demi-heure d’entretien, une demi-heure de conférence de presse – était essentielle en terme de communication. Selon Bruno Le Maire et Phil Hogan, tous les Européens font front commun. Et d’abord sur la taxe dite Gafa (Gafa-Apple-Facebook-Amazon), qui a été le principal sujet de l’intervention de Bruno Le Maire devant la presse.
La main tendue des Européens
Paris se veut en pointe sur le sujet. Le 11 juillet 2019, la France décidait ainsi unilatéralement de taxer les géants du numérique. A Bercy, le ministre s’est félicité de la volonté d’autres membres de l’Union européenne (UE) de suivre son exemple. « Certains le font [NDLR, Autriche, Italie], d’autres le feront [NDLR, Royaume-Uni] », a-t-il précisé. D’après les calculs des gouvernements du Vieux Continent, les champions du numérique y seraient deux fois moins imposés en moyenne que les sociétés traditionnelles.
Au cours de ses échanges avec le président américain Donald Trump, le président français Emmanuel Macron a promis que cette taxe serait transitoire, le temps qu’une solution acceptable par tous soit trouvée au sein de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). Celle-ci est, en effet, devenu l’enceinte de réflexion pour la mise en place d’une taxe internationale, avec pour objectif de parvenir à un accord politique cette année.
Bruno Le Maire a dévoilé s’être entendu avec Steven Mnuchin « pour essayer toutes les possibilités » et aboutir « dans les 15 jours en marge du Forum de Davos fin janvier » (21-24 janvier) à un compromis sur la base du texte de l’OCDE. « Nous sommes pour une solution juste et équitable. Et nous allons voir si on peut encore améliorer le projet », a promis le ministre français de l’Économie et des finances. Des propos qui peuvent être interprétés comme la volonté de l’UE de tendre une main aux États-Unis.
Un projet de sanctions « inamical, inapproprié, illégitime »
Pour autant, Bruno Le Maire a mis aussi en garde Washington. Un projet de taxe digitale européenne serait défendu par le commissaire européen aux Affaires économiques Paolo Gentiloni. Lors de son intervention devant la presse avec Phil Hogan, l’hôte de Bercy a jugé « inamical, inapproprié, illégitime » le projet de sanctions commerciales en guise de rétorsion un moment agité par Donald Trump.
Début décembre, le président américain avait, en effet, menacé de surtaxer 2,4 milliards de dollars de produits français si la France ne renonçait pas à sa taxe sur les multinationales du numérique. Une injonction à laquelle Paris ne s’était pas pliée.
Devaient être frappés la maroquinerie, le roquefort ou encore le champagne, alors que le vin tranquille de l’Hexagone doit être aussi sanctionné, après que l’OMC ait donné raison aux États-Unis sur le dossier des subventions illégales accordées à Airbus.
Les nouvelles sanctions seraient finalement reportées jusqu’à la conclusion du dossier au sein de l’OCDE. Le ministre français aurait, néanmoins, rappelé à Steven Mnuchin qu’en aucun cas « les discussions et négociations » ne pourraient se poursuivre, si la Maison Blanche décidait tout à coup de taxer les entreprises françaises dans le cadre de ce dossier.
La reprise de l’ORD, « priorité absolue à moyen terme »
Interrogé par Le Moci sur ses priorités en matière de commerce international, Bruno Le Maire a répondu qu’en tant qu’ancien ministre de l’Agriculture pendant trois ans (23 juin 2009-10 mai 2012), c’était, « à court terme, que « les producteurs de vin français ne soient pas sanctionnés ». A moyen terme, la priorité absolue est de trouver une solution pour traiter « les différents dans un cadre multilatéral » et la relance de l’Organe de règlement des différents (ORD) de l’OMC. Rappelons que l’ORD ne fonctionne plus depuis le 9 décembre parce que Washington bloque le renouvellement de ses juges.
Phil Hogan, qui a assuré que « la Commission européenne est avec la France » sur le dossier de la taxe numérique, a également plaidé pour une réforme de l’OMC « qui soit plus efficace ».
« Nous voulons que les États-Unis travaillent avec nous », a encore affirmé l’ancien commissaire européen à l’Agriculture sous la présidence de Jean-Claude Juncker (2014–2019). « La consultation vaut mieux que la confrontation », a appuyé Phil Hogan, partisan déclaré du « dialogue ».
A cet égard, Bruno Le Maire a indiqué avoir informé le commissaire européen au Commerce du vœu de Paris d’organiser une conférence sur l’OMC. Quant à la date de cette réunion, interrogé par Le Moci, le ministre français est resté flou, indiquant seulement qu’il fallait « voir avec Phil Hogan ».
François Pargny