Quand on lui a demandé son avis sur l’Equipe de France de l’export, Claude Onesta a répondu finement : « à mon avis, il y a beaucoup de gens qui jouent au même poste ». L’ancien manager de l’équipe de France masculine de hand-ball avait été judicieusement invité par les conseillers du commerce extérieur (CCE) à intervenir le 6 octobre, lors de leur dernier forum Mondial CCE, dans une table ronde très attendue sur le thème « Equipe de France de l’export – succès et défis ». Et d’ajouter que « ce n’est pas rédhibitoire si chacun pense que le résultat de son équipe est plus important que son propre résultat ».
De quoi mettre un peu de piquant dans un tour de table qui avait mis côte à côte, dans une ambiance courtoise et plutôt détendue, Alain Bentéjac, président du CNCCEF, Philippe Louis-Dreyfus, vice président de Medef International, Frédéric Rossi, directeur général délégué de Business France en charge de l’Export et Arnaud Vaissié, président de CCI France International (CCIFI), organisation qui regroupe les CCI française à l’étranger. Tour à tour, chacun venait de présenter son offre d’appui au développement international des entreprises, un exercice bien rodé. Mais si cette plénière a fait salle comble, témoignant d’une réelle attente de la part de ces hommes et femmes d’entreprises que sont les CCE sur la question de l’efficacité du dispositif actuel, nombreux sont ceux qui sont restés sur leur faim.
« Ce vers quoi il faudrait tendre, c’est une équipe où tout le monde est solidaire »
En l’occurrence, chacun sait que le débat se cristallise aujourd’hui sur la répartition des rôles entre d’une part l’agence publique Business France, et d’autre part les chambres de commerce, en France et surtout à l’étranger. La convention cadre de partenariat signée entre ces différents organismes en mars 2015, sous l’égide du secrétaire d’Etat au Commerce extérieur de l’époque, Matthias Fekl, semble avoir atteint ses limites.
Dans certains pays, les deux organismes ne parviennent pas à s’entendre et se font concurrence de sorte que certains ont parfois le sentiment « qu’il y a deux équipes avec les CCE comme arbitres », comme l’a remarqué un conseiller dans l’assistance.
Et depuis quelques mois, dans le contexte du changement de gouvernement, les restrictions budgétaires qui frappent Business France et les CCI en France (contrairement à ces dernières, les CCIFI sont des organismes privés) ont ravivé les rivalités pour décrocher missions et mandats, notamment auprès des Régions, et mettre en avant ses offres. Un résultat contraire à l’esprit de cette convention. « Ce vers quoi il faudrait tendre, c’est une équipe où tout le monde est solidaire » a résumé Philippe Louis-Dreyfus. « Avec trop d’intervenants », « ce n’est pas lisible pour les français et totalement illisible pour les étrangers ».
C’est dire si les initiatives prises par Jean-Yves Le Drian, nouveau ministre de l’Europe et des affaires étrangères en charge du Commerce extérieur, avec son secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne, en relançant le dialogue avec les Régions sur la constitution de « guichets uniques » et en mandatant Christophe Lecourtier, nouveau directeur général de Business France, pour faire des propositions de réformes, sont suivies de près par les hommes d’affaires français du réseau CCE.
« Il va falloir de vraies réformes de fond pour que les missions ne soient pas les mêmes »
Qu’en disent les principaux intéressés ? Il faut reconnaître que face à ce public averti que sont les CCE, ils ont essayé de ne pas se défausser, tout en restant sur la réserve.
« Dans deux compartiments du jeu on pourrait mieux faire », a reconnu Frédéric Rossi. « Dans les territoires en France, nous avons l’opportunité de mieux fédérer pour augmenter la taille des tuyaux pour identifier et emmener plus d’entreprises à l’international » a-t-il poursuivi, tandis qu’à l’étranger, « depuis deux ans on a essayé de rationaliser avec des conventions de partenariats avec les autres acteurs ».
Mais dans certaines zones, cela a moins bien marché que dans d’autres, comme en Asie Pacifique, où, a révélé Frédéric Rossi, « sur 14 pays, 10 conventions ont été signées, 4 sont bloquées ». Aujourd’hui, selon lui, « on a un Momentum propice » et « on a un nouveau coach qui donne à l’un des acteurs la possibilité de mieux s’organiser ».
De son côté, si Arnaud Vaissié a souligné « les progrès accomplis pour créer de la confiance » et s’est dit « optimiste sur ce qui peut être fait » pour « parvenir à une situation plus harmonieuse », il a aussi prévenu : « il va falloir de vraies réformes de fond pour que les missions ne soient pas les mêmes ».
Tout deux ont convenu que les Régions auraient un rôle clé, surtout dans un contexte budgétaire contraint.
Le CNCCEF sonde ses présidents de comités.
Pour l’heure, une seule certitude : tout le monde souhaite une nouvelle avancée dans la « simplification » du système, comme n’a pas manqué de le rappeler Alain Bentéjac à la tribune. Reste à savoir comment.
Dans ce contexte, le président du CNCCEF ne veut pas manquer cette opportunité de faire entendre la voix des conseillers, lui qui a refusé, en suivant ainsi la position unanime des membres de son comité exécutif, de co-signer au printemps, avec Medef International et CCI International, une lettre aux ministres de tutelle du Commerce extérieur, accompagnée d’une série de recommandations d’action. Le motif de ce refus : ils ont jugé les propositions trop précises à ce stade, pas assez neutre. Le président du CNCCEF, connu pour son pragmatisme, reconnaît cette posture vis-à-vis d’organismes habituellement partenaires : « La position que nous avons en commun, c’est de proposer au gouvernement de faire réaliser un diagnostic du système par un organisme indépendant » a confirmé Alain Bentéjac au Moci en marge du Mondial CCE. « J’aurais signé la lettre mais pas le document qui l’accompagnait ».
A la tribune du forum Mondial CCE, loin de prendre partie en faveur du public ou du privé, le président du CNCCEF n’a pas manqué l’occasion de rappeler que « tout ce qui va dans le sens d’une simplification va dans le bon sens » et d’insister sur la nécessité de « partir des besoins des entreprises ». Il a annoncé avoir lancé une enquête au sein du réseau pour sonder les conseillers sur le sujet. Les résultats étaient encore en cours de traitement au moment du forum.
L’enquête a été réalisée auprès des 150 présidents de comités CCE en France et à l’étranger, avec un taux de retour très élevé (100 % en France, 70 % à l’étranger) qui témoigne de l’intérêt porté à ce dossier dans ce réseau. Mais pas sûr qu’elle apporte des enseignements clairs. Selon Alain Bentéjac, au vu des premiers résultats, qui doivent encore faire l’objet d’une analyse plus approfondie, aucune « tendance forte ne se dégage », « il y a des endroits où c’est la CCI qui marche le mieux, d’autres où c’est Business France ».
Autant dire que le nouveau « coach » de l’Equipe de France à l’export a encore du pain sur la planche, y compris pour définir localement, dans les région comme dans les pays étrangers, qui seront ses alter ego. D’après Claude Onesta, un « coach est indispensable, c’est la recherche de l’harmonie », et il vaut mieux, pour le choisir, suivre « une logique de compétence et pas seulement une logique d’étiquette ». A l’issue de cette table ronde, l’ancien entraîneur a offert aux intervenants un maillot et un ballon aux couleurs de l’équipe de France de hand-ball. Le symbole est fort, l’intention est d’encourager, en attendant le coup d’envoi du nouveau match.
Christine gilguy
Envoyée spéciale à Nusa Dua
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