Le très francophile ancien ambassadeur d’Inde à Paris, Mohan Kumar (mai 2015-juillet 2017), a fait un véritable carton auprès des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) réunis à Nusa Dua, sur l’île indonésienne de Bali, pour leur forum Mondial CCE 2017. Intervenant le 5 octobre, ce diplomate, qui enseigne aujourd’hui son métier à la Jindai School of International Affairs, a commencé par s’excuser par avance de ce qu’il allait dire « parce que j’aime la France », soulignant que « la France a raison de se tourner vers l’Asie » mais qu’elle peut « bien mieux faire ». Et de livrer à une assistance hilare une leçon décapante de savoir-faire du business en Asie.
« Les Français ont un problème avec la langue… de l’argent», a-t-il d’abord lancé. « Après 7 ans passés en France, je ne sais pas dire si les Français aiment l’argent ou le haïssent ». Et de s’interroger sur ce non-amour de la réussite qui habite le peuple français, pourquoi les Vincent Bolloré et autres Bernard Arnaud sont-ils haïs alors qu’ils devraient être « célébrés » par leur compatriotes. « Dites aux jeunes : le succès c’est ok, a-t-il poursuivi, gagner de l’argent est légitime dès lors qu’on a respecté les règles ».
« La France n’aime pas les négociations complexes »
Si, à ses yeux, les « liens traditionnels avec l’Afrique » ont aussi contribué à freiner la diversification des échanges, notamment vers l’Inde, le manque de patience est aussi un sacré défaut des Français. « La France n’aime pas les négociations complexes », a-t-il observé. Et de raconter que dans la dernière ligne droite des longues négociations du contrat de vente des Rafale -finalement abouties en septembre 2016 après 4 ans de discussions-, alors que le négociateur indien cherchait à obtenir une ultime réduction de prix, un haut responsable de Dassault Aviation avait confié à l’ambassadeur, exaspéré, « je ne suis pas un marchand de tapis ». « Quel est le problème si le négociateur a besoin de rapporter à son chef, et le soir à sa femme, qu’il a décroché 2 % supplémentaire ? », s’est interrogé Mohan Kumar, dubitatif ?
Même ton pour ironiser plus précisément sur l’arrogance et le manque de réflexe marketing dont peuvent faire preuve les Français dans le business : vous vous dites souvent « je suis le meilleur, je n’ai pas besoin de faire de la pub », a relaté le diplomate, avant d’ajouter « ce n’est pas vrai, vous avez besoin de faire de la pub pour le faire savoir à ceux qui ne le savent pas ! ».
Pour lui, des modèles à suivre, en matière d’implantation en Inde, sont Saint-Gobain et Renault : le premier a créé une filiale à 100 % mais en a confié les rênes à des Indiens. Le second ne s’est pas découragé après le « désastre » du lancement d’un modèle low cost de Dacia Logan sur le marché indien : il est revenu avec le Duster qui, lui, a tout de suite fait mouche. « Il faut être extraordinairement patient pour réussir en Inde », a conclu Mohan Kumar. « Dans certains cas, vous pouvez aller seuls mais dans d’autres, pourquoi ne pas privilégier la voie Alstom ? », allusion au rapprochement du groupe français avec l’Allemand Siemens…
Christine Gilguy,
Envoyée spécial à Nusa Dua
*Inde / France : le Rafale décolle en Inde
Pour prolonger :
-Mondial des CCE : l’Equipe de France de l’export en attente des instructions du « coach »
–Export / Entreprises : Silvadec, Sabella, JRI, Delta Plus, Carré d’artistes, ces PME qui osent l’Asie-Pacifique
–Mondial CCE / Export : quand l’Asie-Pacifique a « envie de France »…
–Mondial CCE 2017 : Edukasyon lauréat du premier concours French Tech Asie