C’était à la fin de son intervention, mais il était fier de le dire : « 12 à 15 % des ventes mondiales de Renault sont réalisées au Maroc ». Et Marc Nassif d’ajouter, le sourire aux lèvres : « c’est la seule usine carbone neutre au monde – 98 % des impacts carbone sont neutralisés ». Le directeur général de Renault Maroc, qui s’exprimait ainsi lors du 5e Forum international Afrique Développement/Fiad *, organisé à Casablanca, les 16 et 17 mars, par Attijariwafa Bank, venait au préalable d’expliquer que la filiale du constructeur français avait produit 345 000 véhicules en 2016, dont 90 % livrés à l’étranger.
Présente au Fiad, la Lettre confidentielle a voulu en savoir plus. Pendant un petit déjeuner partagé, Marc Nassif nous a ainsi révélé les deux grands objectifs que le groupe lui a fixés à sa nomination il y a un an : maintenir la part de marché de Renault, numéro un au Maroc devant PSA et Ford avec ses marques Renault et Dacia, à son niveau actuel, soit dans une fourchette de 38 et 40 % ; et porter, comme le constructeur automobile s’y est engagé lors de la construction de l’usine de Tanger en février 2012, le contenu local de 40 à 65 % en 2023.
Sur le marché domestique, Marc Nassif peut compter sur le dynamisme de la marque Dacia. Un dynamisme que l’ancien patron Inde de Renault (2008-2014) n’a pas connu dans ce pays, où Dacia n’a jamais atteint son rythme de croisière. Mais au Maroc, cette marque recueille les fruits de son implantation au nord du Royaume et du label Made in Morocco. Non seulement Marc Nassif y pilote cette usine à proximité du grand port de Tanger Med, mais il conduit également les autres activités marocaines, à savoir l’unité de production Somaca de Casablanca, détenue par Renault à 80 % et PSA à 20 %, et la filiale commerciale Renault Commerce Maroc.
AGC, PSA, Saint-Gobain investissent à Kenitra
Sur le deuxième volet, celui de l’amélioration de la compétitivité, malgré l’implantation d’équipementiers autour de l’usine de Tanger et l’existence de deux zones franches – Tanger Free Zone (TFZ), qui est pleine, et Tanger Automative City (Tac), érigée en zone franche sur la plateforme industrielle automobile de Jouamaa – tous les besoins ne peuvent pas être comblés, notamment dans la mécanique générale. Par ailleurs, le Maroc étant pauvre en ressources naturelles, le groupe français doit compenser avec des importations. Exemple, l’acier : le leader marocain Maghreb Steel lui fournit des aciers classiques, mais les aciers spéciaux doivent être acquis à l’extérieur. Les moteurs et les boîtes de vitesse sont aussi fournis par les usines du groupe en France et en Espagne.
Pour autant, rien ne saurait freiner le natif du Caire, 55 ans, à la tête de 10 000 salariés, 8 000 à Tanger, 2 000 à Casablanca. Les équipes de Marc Nassif ont ainsi découvert un sous-traitant à Fès pour livrer des disques automobiles. Un autre professionnel marocain s’est lancé dans le recyclage des batteries. Mais surtout de gros investissements sont attendus à Kenitra, au nord-ouest du Royaume, à 40 kilomètres au nord de Rabat, le long de la côte Atlantique.
A la veille du Fiad, le 15 mars, la première pierre d’une méga usine y a été posée dans la zone franche Atlantic par le leader mondial du verre automobile AGC Automotive, en coopération avec le verrier marocain Induver. De l’ordre de 1,1 million de carsets par an à partir de 2019, sa production, répartie entre verre trempé pour lunette-arrière et vitre latérale et verre feuilleté pour pare-brise, sera réservée pour un tiers au marché local (deux tiers étant destinés à approvisionner l’Europe du Sud et le Maghreb), ce dont bénéficiera Renault.
A la même date, l’extension de l’usine de Saint-Gobain, également à Kenitra, serait réalisée, et l’usine de moteurs et de véhicules dont se dote sur place PSA devrait démarrer, ce qui dynamisera à nouveau la filière, avec l’installation attendue de nouveaux équipementiers autour de l’unité de Peugeot-Citroën. PSA a encore des ambitions plus importantes que Renault, puisque le repreneur d’Opel s’est engagé au Maroc à y réaliser 60 % de ses achats et d’y monter à 80 % à terme.
Tanger Med et les accords d’Agadir, avec la Ligue arabe et l’UE
Lors du forum de Casablanca, Marc Nassif, à deux reprises, a utilisé l’expression « sine qua non » pour expliquer l’implantation de l’usine de Renault à Tanger. D’abord, était « sine qua non » la création du grand port Tanger Med. Ensuite, il a indiqué que « les incitations fiscales sont sine qua non, mais pas suffisantes ».
Précisant sa pensée, Marc Nassif a confié à la LC que les incitations fiscales se ressemblaient quelque soit le pays et que, par conséquent, « si elles étaient nécessaires, elles ne pouvaient faire la différence à elles seules ». Ce qui a fait « la différence, a pointé le directeur général de Renault Maroc, c’est le grand port de Tanger Med, idéalement placée entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, et les accords commerciaux signés par Rabat, qui permettent d’exporter sans droit de douane ».
Côté infrastructures, outre le grand port, dont la deuxième phase d’expansion est aujourd’hui lancée, viabilisation des terrains, établissement de réseaux énergétiques, construction de routes et de voies ferrées, y compris jusqu’à l’usine, permettent au constructeur français de développer sa stratégie dans un environnement facilité. Un centre de formation a été créé. « On a réalisé plus de 170 000 heures en 2016, plus de 1,5 million depuis 2011, on emploie exactement 10 600 salariés, dont seulement un tiers de Français, et on a créé une école de management et un BAC automobile », a énuméré le dirigeant du groupe automobile à la tribune du Fiad.
La filiale du constructeur tricolore produit sur place des Sandero, Dokker, Logan et Lodgy. « La Sandero marche très bien notamment en Egypte », s’est félicité Marc Nassif auprès de la LC. Le pays des pharaons, le 25 février 2004, a conclu avec le Maroc, mais aussi la Tunisie et la Jordanie un accord de libre-échange, dit Accord d’Agadir. Le Royaume chérifien dispose des mêmes avantages dans le cadre de la Ligue arabe. Le Maroc possède encore un accord de libre échange avec l’Union européenne (UE). En 1984, cette nation du Maghreb avait demandé à adhérer à l’UE, ce qui lui avait été refusé. Alors que son père Hassan II ne voulait pas entendre parler du développement du nord du pays, Mohammed VI a décidé de l’essor de la zone de Tanger, région la plus proche de l’Europe.
Depuis plusieurs années, le groupe de Carlos Ghosn répète à l’envie que ses exportations chérifiennes dépasseront la barre des 400 000 véhicules. Un objectif que Marc Nassif a confirmé, mais, en adoptant une conduite plutôt prudente. « Ce sera plutôt 2018 que 2017 », nous a-t-il précisé, avec calme. De sa part, c’était à peine une hésitation. Tout le temps du petit déjeuner, l’homme a gardé le sourire. Il est vrai que l’automobile est déjà le premier secteur d’exportation du Maroc, avec 60 milliards de dirham de chiffre d’affaires (environ 5,78 milliards d’euros) en 2016. Renault Maroc est sur la bonne voie.
De notre envoyé spécial à Casablanca
François Pargny
* Lire en accès gratuit sur notre site les deux articles suivants :
– Maroc / Afrique : la lutte contre la pauvreté nouveau thème de la stratégie africaine du Royaume
– Maroc / Afrique : au forum de Casablanca, la promotion d’un partenariat sud-sud et « gagnant-gagnant »
Lire aussi au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : Maroc / Afrique : « Avec les banques françaises, il n’y a pas de défiance… » selon Boubker Jai (Attijariwafa Bank)
Pour prolonger :
–UE / Maroc : la Cour de justice européenne invalide l’annulation de l’accord commercial
–Où exporter en 2017 : entretien avec Stéphane Colliac, économiste pour la France et l’Afrique chez Euler Hermes
–Afrique / Investissement : le FFA veut convaincre les PME françaises en quête d’une stratégie africaine
–Afrique / Medef International : le Comité Afrique « monte en puissance »
–Afrique / Innovation : MyAfricanStartup.com va publier son palmarès des 100 start-up africaines innovantes