Incontestablement, la conférence internationale des bailleurs et investisseurs pour Madagascar, les 1er et 2 décembre à Paris, a été un succès. D’abord, « parce que l’organisation de ces deux journées au palais de l’Unesco a été parfaite », indiquait à son issue un familier de la Grande Ile, selon lequel « l’ambiance était presque bon enfant et le mode d’échanges très simple, avec peu de petits fours et des déjeuners debout ». « Une ambiance studieuse », confirmait à son tour à la Lettre confidentielle, un des 400 participants aux deux journées, qui s’est félicitée que toute la conférence se soit tenue à l’Unesco, alors que « le Medef aurait souhaité recevoir les participants à la deuxième journée, consacrée aux engagements du secteur privé ».
Quelle est la capacité d’absorption de la Grande Ile ?
Ensuite, et c’est là le principal, c’est un beau succès pour Madagascar et pour son président élu en janvier 2014, Hery Rajaonarimampianina. Avant la conférence de Paris, le président Hery avait besoin au total de 5,4 milliards de dollars pour réaliser son plan national de développement (PND) quinquennal qui court jusqu’à fin 2019. Or, Madagascar a recueilli à l’Unesco 6,4 milliards de dollars de promesses d’engagements de la part des bailleurs de fonds publics d’ici 2020 – dont plus d’un milliard pour le seul groupe de la Banque mondiale – et 3,3 milliards de la part du secteur privé – dont plus de la moitié en provenance du Maroc, du Japon, des États-Unis, de l’Allemagne et de la France, et un tiers des investisseurs indopakistanais ou karana.
Par exemple, le groupe Socota (textile, agriculture, aquaculture…) a annoncé son intention d’investir 150 millions d’euros dans la région et le Comesa (Marché commun d’Afrique australe et orientale).
« Il ne faut, toutefois, pas s’enflammer. Quelle est aujourd’hui la capacité d’absorption de Madagascar ? », s’interroge, un peu perplexe, un fin connaisseur du microcosme îlien, qui rappelle que le 5 juillet 2002, au début de la présidence de Marc Ravalomanana (mai 2002-mars 2009), « deux milliards de dollars d’engagements avaient été signés avec le FMI et que, finalement, 600 millions seulement avaient été engagés ».
Maroc : le plus grand projet d’aménagement du territoire
« Dans le même ordre d’idée, poursuit-il, il a fallu deux ans pour qu’ADP et Bouygues parviennent à signer définitivement, l’an dernier, le contrat de réhabilitation-rénovation des aéroports d’Ivato (Tananarive) et Nosy Be ». Cet exemple était dans les têtes des participants quand, le second jour de la conférence de Paris, la signature d’un accord de projet pour la construction et l’exploitation d’une centrale hydroélectrique de 200 MW entre Madagascar et toute une série d’entreprises (Eranove, Eiffage, Themis, Hier) a été évoquée. Cette nouvelle infrastructure, estimée à 825 millions de dollars hors lignes de transmission, sera située à Sahofika, à une centaine de kilomètres au sud de Tananarive.
Au sud-est de la Grande Ile, la coopération japonaise Jica va aussi injecter 340 millions d’euros (sur 600 millions promis au total) dans l’extension et l’adaptation du port de Tamatave. Enfin, entre cet ouvrage et Fort Dauphin, le Maroc va s’attaquer à la valorisation du canal de Pangalanes, une zone de lacs et de rivières de plus de 600 kilomètres, habitée par six millions de personnes, dont l’écosystème est en danger. Ce projet, déjà signé dans la capitale malgache le 21 novembre, lors du Sommet de la francophonie, serait le projet d’aménagement du territoire le plus important depuis le départ des Français, avec un montant de près de 209 millions de dollars.
Plus de 92 % de la population dans la pauvreté
Comme le Maroc, les États-Unis ont profité de l’évènement parisien pour mettre en avant leur action en faveur du secteur privé, avec, en premier lieu, le retour déjà effectif de Madagascar au sein de l’Agoa (African Growth Opportunities Act). Entre mi-2010 et fin 2015, la suspension des avantages de l’Agoa (accès libre au marché américain…) s’était traduite pour Madagascar par la perte de plus de 100 000 emplois, principalement dans le textile-habillement. Dans la foulée, Washington a annoncé à Paris que Madagascar profiterait à nouveau en 2017 du Millenium Challenge Account (MCA), un fonds bilatéral pour la croissance et la réduction de la pauvreté.
Il est vrai que la pauvreté frappe plus de 92 % de la population îlienne, qui vit avec moins de deux dollars par jour. « C’est pourquoi les représentants de la Commission de l’océan Indien (COI) et du Fonds international pour le développement de l’Afrique (Fida) ont insisté à Paris pour que l’on favorise l’émergence de Madagascar comme grenier à riz des îles francophones et même de la zone australe et orientale », confie à la LC un industriel présent sur place.
Ce fut peut-être le moment le plus délicat, selon lui, « quand les responsables de grands bailleurs, comme l’Union européenne et le FMI, mais aussi le Pnud, ont lâché devant le président Hery que la population n’en pouvait plus ». Des propos certes plus diplomatiques ont été échangés, mais ces interventions ont sans doute suffi pour rappeler au chef de l’État que les institutions internationales posaient des exigences dans toute une série de domaines, allant de lutte contre la corruption à l’insécurité, en passant par une meilleure gouvernance.
François Pargny